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Wednesday 5 January 2011

L'Algérie confrontée à ses multiples paradoxes

British BlogsAu coeur d'Alger, les commerces se sont multipliés et les restaurants deviennent chaque jour plus fréquentés, témoignant ainsi d'une vitalité retrouvée. Rien de plus normal dans un pays qui a de l'argent : avec des recettes d'hydrocarbures en hausse, l'Algérie a enregistré, sur les onze premiers mois de l'année, un excédent commercial de 14,8 milliards de dollars (11,1 milliards d'euros), à faire pâlir d'envie bien des Etats. De quoi redistribuer, un peu, sous forme salariale, aux magistrats, enseignants et policiers. De quoi éteindre momentanément, aussi, les incendies qui ne cessent de s'allumer à travers le pays. C'est là, en effet, l'un des paradoxes d'une société qui n'en manque pas.
Chaque jour, ou presque, une émeute éclate. Samedi 25 et dimanche 26 décembre, dans plusieurs cités de la banlieue d'Alger - Diar El-Baraka, les Palmiers, Diar Echems -, de violents incidents ont opposé forces de sécurité et habitants écartés d'une vaste opération de relogement annoncée par lawilaya ("préfecture"). Les problèmes d'eau, d'électricité, d'emploi alimentent ainsi une chronique singulière. Le 5 décembre, le quotidien Libertérecensait depuis le début de l'année 112 878 interventions de maintien de l'ordre, "en nette augmentation".
Des mouvements de colère spontanés, qu'"aucune organisation ni aucun parti ne vient encadrer", selon Rachid Malaoui. Président du Snapap, premier syndicat autonome de la fonction publique, ce dernier fait face à une étrange situation : la maison des syndicats a été fermée en mai, le pouvoir a adopté une redoutable stratégie, qui consiste à "cloner" les organisations indépendantes, et les adhérents se découragent. Les associations de défense des femmes sont aussi à bout de souffle, et la réunion de quatorze d'entre elles, le 25 novembre dans un hôtel d'Alger, a été annulée par les autorités.
Les jeunes, premières victimes du chômage, sont les plus exposés à ce que l'on nomme ici "la mal vie", comme le prouvent les tentatives continues desharragas, ces clandestins qui essaient de rejoindre l'Europe par la mer au péril de leur vie. "La situation des droits de l'homme régresse, affirme Mustapha Bouchachi, président de la Ligue algérienne des droits de l'homme. La société civile elle-même est démissionnaire et ne joue pas son rôle, laissant face à face la rue et le pouvoir."
Une rue algérienne qui porte les signes apparents d'une islamisation grandissante. Au voile, porté par une majorité de femmes, s'ajoutent en nombre de plus en plus important, et visible, les barbes et les kamis ("robes longues") des hommes. "Le salafisme connaît depuis une dizaine d'années un développement exponentiel, explique Amel Boubekeur, chercheure à l'Ecole des hautes études en sciences sociales et à l'Ecole normale supérieure.Jusqu'ici, ces hommes étaient cantonnés dans les quartiers populaires, aujourd'hui ces frontières n'existent plus."
La réconciliation nationale, imposée par le pouvoir après la violence des années 1990, est passée par là. Une majorité des nouveaux commerces ont été ouverts par des islamistes hier encore pourchassés et aujourd'hui encouragés.
"Militairement, nous avons vaincu le terrorisme, mais, politiquement, les islamistes ont gagné", affirme, amer, Mohamed B., un intellectuel. "Le pouvoir est en train de tout leur céder", assure un diplomate européen. Un pessimisme que ne partage pas Mme Boubekeur : "C'est le paradoxe de cette réconciliation : laréintégration économique des islamistes contre leur neutralisation politique. Quant aux signes d'islamisation, c'est avant tout un mode de vie, un réseau de solidarité bien plus efficace que les partis, qui permet d'ouvrir des commerces, souligne-t-elle. Et pour l'Algérien moyen, si on ne peut pas être citoyen, soyons au moins consommateur, ça au moins c'est permis."
Sous leur voile, les jeunes Algériennes affichent souvent un audacieux maquillage. "Ces signes extérieurs religieux sont une modalité de négociation de la paix sociale, une façon de se fondre dans la masse. Si l'Etat jouait son rôle, cela disparaîtrait", estime Daho Djerbal, qui dirige la revueNaqd, créée en 1991. Pour ce dernier, la réconciliation reste "de l'ordre du refoulé".
L'exceptionnelle mobilisation autour de Mohamed Gharbi, un "patriote", comme on désigne ceux qui ont combattu les islamistes, l'illustre bien. Condamné à mort après trois procès pour avoir tué un repenti, le vieil homme a bénéficié d'une grâce présidentielle début décembre.
L'Algérie cherche à tourner cette page douloureuse de son histoire. "Après la décennie noire, où le mot culture était presque banni, c'est le retour à la normale, s'enthousiasme Mohammed Djehiche, directeur du superbe et récent Musée d'art moderne d'Alger. Nous essayons de rattraper le temps perdu : plus de 1 000 livres sont édités chaque année, de 30 à 40 pièces de théâtre sont montées et une cinémathèque va ouvrir ses portes. Les choses évoluent, même si on a l'impression du contraire. C'est comme l'iceberg." "La société est plus islamisée en 2010 qu'en 2001, convient Amara Benyounes, ancien ministre de la santé, et pourtant l'Algérie est le pays musulman le plus apte à la modernité."

Courriel : mandraud@lemonde.fr

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