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Thursday 20 January 2011

Leila Trabelsi, la cleptodame

Leila Ben Ali, à Tunis le 28 octobre 2010.
Leila Ben Ali, à Tunis le 28 octobre 2010. (AFP


PORTRAIT

Ecartant les clans rivaux, l’omnipotente épouse de Ben Ali a pillé le pays au profit de sa famille.

CHRISTOPHE AYAD

C’est l’histoire d’une Du Barry qui s’est prise pour la Pompadour et aurait pu finir comme Marie-Antoinette. L’histoire d’une «coiffeuse», qui a failli être la Régente de Carthage (1) avant de partir sous les huées de son peuple. L’influence de Leila Trabelsi, la deuxième épouse de Zine al-Abidine ben Ali, et de son clan familial était telle sur l’économie et le pouvoir tunisien que c’est à se demander qui a entraîné qui dans sa chute. Avant de quitter la Tunisie, pendant que son mari pensait encore pouvoir sauver son siège, elle aurait embarqué 1,5 tonne d’or, selon le Monde, citant des sources à l’Elysée.
Tout comme son mari, Leila Trabelsi est née, en 1957, dans une famille pauvre de 11 enfants, dont elle serait la seule fille. Elle grandit dans la médina de Tunis, devient coiffeuse et se marie jeune pour divorcer trois ans plus tard. Elle entame une liaison avec le général Ben Ali, chef de la Sûreté générale dans les années 80 et lui donne rapidement une fille, Nasrine, en 1986. Ben Ali dépose Bourguiba, le père de l’indépendance l’année suivante et, un an plus tard, divorce de sa première femme, Naïma Kefi, fille du général qui a parrainé toute sa carrière. Une deuxième fille, Halima, naît en 1992, l’année où le Président se remarie avec Leila Trabelsi.
Une fois légitime, la Première Dame s’attache à combattre les clans concurrents qui gravitent autour du chef de l’Etat. Avec une efficacité certaine. Les frères et sœurs de Ben Ali, qui prospèrent surtout dans la contrebande, le trafic et l’import-export, perdent leur chef de file avec la mort de «Moncef» Ben Ali dans un accident de voiture : il avait été condamné en France à de la prison dans le procès de la «couscous connexion» pour trafic de drogue, mais jamais extradé. Depuis, les Ben Ali se sont repliés sur Sousse, leur ville d’origine pour exercer leur prédation.
Vorace. C’est ensuite au tour des Chiboub de passer sous le joug de «Madame». Ce clan, dont le leader, Slim, un ancien joueur de hand-ball, a épousé la deuxième fille issue du premier mariage du Président, Dorsaf. Rapidement, les Chiboub, qui percevaient des commissions sur les marchés publics, se cantonnent au sport-business. Slim prend la tête de l’Espérance de Tunis, le grand club de football local. Les deux autres filles issues du mariage avec Naïma Kefi, Ghazoua et Cyrine, épousent des hommes d’affaires, respectivement Slim Zarrouk et Marouan Mabrouk, qui bénéficient d’un sérieux coup de pouce. Mabrouk, issu d’une vieille fortune tunisienne, met ainsi la main sur les concessions Fiat et Mercedes ainsi que sur la Banque internationale arabe de Tunisie (Biat) et la grande distribution (Géant et Monoprix). Zarrouk, lui, crée sa propre banque et s’approprie la société de services qui dessert l’aéroport de Tunis. Sa femme, Cyrine, possède la licence téléphonique d’Orange et le fournisseur Internet Planet Tunisie.
Mais rien de comparable avec le nombreux et vorace clan des frères de Leila Trabelsi, dont le chef est incontestablement Belhassen. Il est le «Sonny Corleone» de la famille, le plus violent, le plus avide. Dans les restaurants de Tunis, où l’on n’osait pas lui présenter la note, il avait pour habitude de poser son pistolet sur la table racontent les diplomates américains dans leurs télégrammes révélés par Wikileaks. Il a débuté de la manière la plus fruste, en achetant à bas prix des terrains inconstructibles qu’il faisait ensuite reclasser pour les lotir et les revendre à prix d’or.
Difficile de faire la liste exhaustive de tous les business dans lesquels était Belhassen : les transports aériens (Karthago Airlines, aux dépens de la compagnie nationale Tunisair), les télécoms (Global Telecom Networkings), l’assemblage de camions et de tracteurs (Alpha Ford International), les licences d’importation d’automobiles (Ford, mais aussi Range Rover, Jaguar et Hyundai), le tourisme, les médias (Mosaïque FM et Carthage TV, ainsi que la société de production Cactus TV). Il avait aussi mis la main sur la Banque de Tunisie, dont il a confié la direction à la femme du conseiller et âme damnée du Président, Abdelwahab Abdallah. Il épouse une des filles de Hedi Jilani, le patron des patrons tunisiens, qui avait «placé» une autre de ses filles comme épouse de Sofiane Ben Ali, fils de «Moncef», le frère décédé du Président.
Vol de yacht. Un autre Moncef, frère de Leila, fait fortune dans la construction. Certains rejetons du clan Trabelsi sont carrément des malfrats. A l’instar de Moez et Imed (assassiné samedi par un de ses gardes du corps), des neveux de la Première Dame, commanditaires du vol du yacht de luxe du banquier français Bruno Roger dans le port de Bonifacio. Imed s’était aussi attribué Bricorama et la distribution d’alcool. Mourad Trabelsi trustait la pêche au thon. Najet, une cousine infirmière, devient directrice de l’hôpital Kheireddine de Tunis. La mère de Leila, Hajja Nana, veille aux intérêts de la famille. Son décès, durant la visite de Nicolas Sarkozy, au printemps 2008, expliquera son absence durant les cérémonies officielles. Les avoirs du clan se compteraient en milliards de dollars, sans compter les résidences de luxe à Paris, Courchevel et Saint-Tropez.
Leila Ben Ali, elle, fait dans le caritatif et les bonnes œuvres, à la tête de son ONG Basma. Et s’active pour truster les postes honorifiques, comme la présidence de l’Organisation de la femme arabe. Elle ne néglige pas les affaires pour autant, et quand elle lance un lycée international privé, en association avec Souha Arafat (avec qui elle s’est brouillée et qui a dû s’exiler à Malte), la veuve du président palestinien, elle fait fermer un établissement concurrent.
Mais ce qui intéresse Leila Ben Ali, c’est plus le pouvoir que les affaires. Au point qu’elle nomme et démet hauts fonctionnaires, conseillers présidentiels et ministres. De plus en plus présente sur la scène publique, animant des meetings électoraux, on lui prêtait l’ambition de succéder à son mari, malade, semble-t-il, d’un cancer de la prostate. Son frère Belhassen intègre le comité central du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), le parti quasi unique au pouvoir. Et, miracle de la science, elle aurait donné naissance, le 20 février 2005, à 47 ans, à un héritier mâle, Mohamed, le premier fils de Ben Ali.
Holding. Elle favorise aussi la montée en puissance de Sakher el-Materi, le rejeton d’un général putschiste qui avait failli renverser Bourguiba dans les années 70 et que Ben Ali a réhabilité. Le jeune el-Materi a épousé Nesrine, l’une des deux filles de Leila et de Ben Ali. Son ascension est fulgurante : élu député, il devient plus riche encore que Belhassen, à la tête d’une holding tentaculaire. Il était le visage moderne, boursier et légèrement islamique (la radio coranique Zitouna FM lui appartient et il s’était lancé dans la finance islamique) du régime. L’ambassadeur américain, qui a dîné dans sa villa de Hammamet, raconte y avoir vu un lion en cage à qui l’on servait quatre poulets par jour. Cela lui a rappelé Oudaï, le fils de Saddam Hussein…
(1) Titre du livre de Nicolas Beau et Catherine Graciet consacré au clan Trabelsi et à son influence (La Découverte, 2009)

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