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Wednesday 23 March 2011

Le message de Hocine AIT AHMED aux Algériens


DANS UN MESSAGE ADRESSÉ AUX ALGÉRIENS, LE PRÉSIDENT DU FRONT DES FORCES SOCIALISTES (FFS) S’EXPRIME SUR LES BOULEVERSEMENTS QUE CONNAISSENT LES PAYS ARABES ET INSISTE SUR LA CONSTRUCTION DÉMOCRATIQUE EN ALGÉRIE.

Le droit d’avoir des droits 

Les révolutions en cours en Tunisie et en Egypte, la magnifique leçon de courage, d’organisation et de détermination populaire qu’elles ont donné à voir au monde entier nous interpellent directement.
Les développements dramatiques que connaît la légitime demande populaire de changement démocratique en Libye ont révélé au monde les pics de sauvagerie dont sont capables des dictateurs fous n’ayant de compte à rendre à personne. Et surtout pas à leurs peuples.
La crise algérienne s’inscrit naturellement dans le cadre des crises en cours. Pour autant, il n’est pas question de céder à une quelconque «contagion démocratique» dans l’explication et le traitement de chaque situation nationale.
Deux «constantes» émergent pourtant de l’ensemble des révolutions en cours dans la région : d’une part l’existence de régimes prédateurs, impopulaires et inaptes à porter la demande de liberté et de dignité de leurs populations. Et d’autre part, une forte réaffirmation, par les peuples, du droit d’avoir des droits.
Les Algériens, qui se sont de longue date inscrits dans le combat pour la démocratie et le changement de régime, ont pour cela payé un prix très lourd.

Si les mobilisations populaires tunisienne et égyptienne nous rappellent dans leurs prémices le «printemps démocratique» (1989-91), le scandaleux bain de sang déclenché par El Gueddafi rappelle, quant à lui, la furie éradicatrice des années 1990 qui a déchaîné – à l’intérieur et à l’extérieur des institutions – des Algériens contre d’autres Algériens durant toute une décennie.
C’est pour que l’Algérie n’ait plus jamais à payer un tel prix pour la maîtrise de son destin, qu’il incombe aux Algériens, dans la diversité de leurs convictions et de leurs appartenances, d’indiquer clairement la voie de la construction politique en alternative à la voie de la confusion et de la violence.
Il est plus que jamais temps de mettre à nu les pratiques de dépolitisation et de désarmement moral propagées par les tenants de la violence.
Trop pressés de substituer leur agenda à celui de la société, ils ont voulu profiter de quelques confusions médiatiques soigneusement entretenues pour semer encore une fois le trouble.

A chaque fois que cela sera nécessaire, il faudra apporter les clarifications indispensables à une véritable construction politique nationale, démocratique, populaire et pacifique.
Il serait grave d’oublier le lourd tribut payé par les Algériens depuis des décennies. Grave de considérer ces années de terreur et de folie comme une «simple erreur de parcours» sur laquelle il faut pudiquement tourner la page. Croire cela possible, c’est insulter autant l’humanité de ce peuple que son sens politique.
C’est sur un socle d’amnésies successives que les régimes autoritaires post-coloniaux ont bâti, en Afrique et dans les pays arabes, des légitimités factices. C’est sur ces amnésies que des générations de cliques arrogantes et prédatrices se sont arrogé le droit de cracher un révisionnisme insultant à l’égard de nations bafouées.
Le révisionnisme ne consiste pas seulement à nier les luttes populaires d’hier, il consiste également à refuser aux peuples de leur reconnaître, aujourd’hui, les qualités de maturité, d’unité, de solidarité et de lucidité dont ils ont su être capables hier.
A trop vite oublier que les peuples ont une mémoire, que cette mémoire structure leurs adhésions et leurs rejets, les régimes finissent par perdre tout lien avec leurs sociétés.
Tous les peuples ont soif de liberté.
Tous les peuples ont soif d’égalité, de justice et de dignité.
Tous les peuples mènent des combats et les paient horriblement cher avant de les voir aboutir.
Il y a plus d’un siècle que les Algériens ont entrepris leur longue marche vers la liberté et la dignité dans leur acception politique moderne. (La marche est ici entendue dans son sens de mise en mouvement d’une société engagée en profondeur et non pas un bref footing en ville).

Le rajeunissement nécessaire des élites, les nouvelles formes que prennent leurs luttes, l’extension du champ de leurs revendications qui secouent le vieux fonds classique des combats de leurs aînés ne doivent pas servir à l’odieux dessein de couper les générations en tranches jetables. Le combat pour l’indépendance nationale et le combat pour la démocratie sont indissociables. Ceux qui ont cru que l’une pouvait faire l’économie de l’autre ont fait la preuve de leur échec.
Cette marche sans cesse contrariée vers la liberté s’inscrit dans les combats des peuples du monde pour la conquête de leur souveraineté et de leurs droits. Elle ne relève ni d’une spécificité religieuse ni d’un particularisme régional.
Elle procède d’un élan démocratique pour l’autodétermination collective et individuelle.
D’abord dans le cadre des luttes de Libération nationale. Ensuite contre des régimes despotiques et corrompus.
Les luttes anticoloniales ont abouti à des libérations inachevées. La liberté conquise de haute lutte par les peuples ne s’est pas inscrite dans des Etats, des institutions et des textes capables de les mettre à l’abri des forces hostiles à l’émancipation des peuples, des sociétés et des individus.
C’est la part confisquée de démocratie, de liberté, de souveraineté, de citoyenneté, de justice et d’égalité devant la loi dans la construction d’un véritable Etat de droit, qui a troublé les lendemains des indépendances.
Et c’est cette part de liberté confisquée qui revient périodiquement, portée par de nouvelles générations pour affirmer haut et fort que sans liberté des individus et des peuples il n’y a ni indépendance, ni souveraineté nationale, ni développement économique, politique et social.

Cinquante ans après la proclamation de l’indépendance nationale, nous voici face aux mêmes absences : absence d’un Etat de droit, absence de vie politique, absence de Constitution digne de ce nom, absence d’institutions légitimes capables de protéger le peuple autant que le pays des abus et d’assurer son droit à vivre dans la liberté et la dignité.
A peine l’indépendance proclamée par le peuple algérien et reconnue par la puissance coloniale, un régime oppressif n’a ni tergiversé ni hésité avant de confisquer cette indépendance en enterrant les rêves démocratiques, les droits et la liberté.
On ne peut pour autant mettre sur un même plan la détresse et les souffrances des Algériennes et des Algériens dépouillés au lendemain d’une liberté chèrement acquise et les imposteurs qui ont confisqué leur droit à l’autodétermination.
Ceux qui ont crié «sebaâ snin barakat !» en 1962 avaient raison d’exprimer leur lassitude, leur trop-plein de souffrance et de sang, leur rejet des divisions, leur crainte des guerres de factions.
Mais ils avaient politiquement tort.
Tort de croire que les divergences politiques de fond se règlent par des embrassades.
Tort de croire que les promesses d’unité et de fidélité aux principes de la révolution peuvent se suffire de discours.
Tort de croire qu’une Constitution n’est qu’une formalité sans conséquences.
Tort de croire que l’indépendance d’une nation et la souveraineté d’un peuple peuvent se suffire d‘une page sanglante vite tournée.
Mais ils avaient mille fois raison d’affirmer, haut et fort, que ce peuple a trop payé de son sang !
Des décennies plus tard, il est non seulement impératif de rappeler que le sang des Algériens n’a que trop coulé, mais il est aussi impératif de rappeler que c’est aux institutions politiques qu’il appartient de veiller à ce que le recours à la violence ne soit plus la seule option laissée aux Algériens.
Cela s’appelle le droit d’avoir des droits. Et cela s’adresse à tous.
Ici, il faut souligner les convergences de vues qui existent entre ceux qui ont choisi la voie de l’exclusion à l’intérieur comme à l’extérieur des institutions.

Ni état intégriste ni état policier

Le malheur de l’Algérie n’aurait pas été si sanglant, ni son désarroi si profond, si le choix de l’exclusion et de la violence n’avait été le fait que du pouvoir. Il se trouve que des courants au sein de la société se sont construits exclusivement sur l’apologie de l’exclusion et de la violence. Quel que soit le lourd soupçon de manipulation par le pouvoir réel qui pèse sur ces courants, il n’en demeure pas moins qu’une clarification de leur part demeure indispensable pour signifier clairement un saut qualitatif dans la formulation du sacré en politique.
Ce qui est sacré, ce n’est plus seulement le sang déjà versé, c’est aussi la construction d’un système politique qui rende sacrée la préservation du sang des Algériens. Et cela ne sera possible que dans le cadre d’un Etat de droit construit précisément par les gens pour respecter et faire respecter le droit des gens.
Il serait léger de croire qu’il suffirait de dissoudre des institutions ou des partis pour que sortent de leurs décombres d’autres institutions et d’autres partis, tous prêts pour un usage démocratique.
Tort surtout de croire que l’union est dans le reflux du politique au profit du fusionnel. (Les unions sacrées et les faux consensus ne donnent que de fausses solutions).
A chaque moment-clé de notre histoire, nous avons été mis en demeure de choisir entre les instruments du politique et les illusions politiques. A chaque fois nous avons dit «non» aux illusions et avons mis en avant les instruments du politique.
Un Etat de droit, des institutions fortes de leur légitimité, une justice indépendante, des contre-pouvoirs efficaces, une vie politique démocratique réglée par un contrat national, social et politique qui garantissent les libertés individuelles et collectives au même titre qu’il se porte garant de la justice sociale.
Le droit à la sécurité, au travail, au logement, à une scolarité de qualité, à une santé de qualité, à une justice de qualité, à un environnement de qualité, à une vie culturelle de qualité sont des questions qui intéressent tout le peuple.
Et parce que ces questions intéressent tout le monde, elles mettent en jeu des intérêts contradictoires.
 
Comment gérer ces contradictions ?

La révolte d’Octobre 1988 a porté ces questions à travers l’irruption de la jeunesse dans la rue. Le pouvoir a riposté avec sa violence habituelle en semant la mort et en recourant à la torture.
Les réformes politiques et économiques, initiées de l’intérieur du régime, combattues avec violence à l’intérieur et à l’extérieur du régime, n’ont pas permis d’éviter la guerre.
20 ans de violences, d’errements  sécuritaires, politiques et économiques, preuve est faite que le primat du droit peut seul permettre une gestion pacifique de conflits d’intérêts contradictoires.
Nous croyons, pour notre part, que les contradictions se gèrent par la construction d’un rapport de force politique basé sur les discussions, la négociation pacifique, l’arbitrage, et non réductible par la manipulation, la ruse et la violence.
Nous sommes, aujourd’hui, encore loin d’avoir remporté la bataille de la construction démocratique de la nation et de l’Etat Algériens. Mais nous n’avons jamais été aussi proches d’en voir les prémices portées par des pans entiers de la société. Pour accélérer ce processus, certaines vérités doivent être dites.

Ce n’est pas seulement la peur qui se dresse devant la conquête du droit d’avoir des droits. Casser le mur de la peur, cela n’est pas nouveau :
C’est ce qu’ont fait tout au long de ces années de braise et de sang tous ceux qui se sont levés pour dénoncer la dictature autant que le terrorisme.
Oser clamer haut et fort, en 1992, ni Etat policier, ni Etat intégriste, les militants du FFS et tous ceux qui se sont retrouvés à leurs côtés l’ont fait, c’était autrement plus courageux et lucide de le faire à cette époque que ça ne l’est aujourd’hui, que la jonction des deux options se sont réalisées dans le régime politique en vigueur. Ces deux options sont aujourd’hui discréditées auprès de l’ensemble de la société algérienne.
Casser le mur de la peur :
C’est ce qu’ont fait les familles de disparus depuis des années en bravant la répression et les interdits.
C’est ce qu’ont fait les avocats qui les ont soutenues et aidées à porter leur combat dans toutes les arènes nationales et internationales.
C’est ce qu’ont fait les familles de victimes du terrorisme.
C’est ce qu’ont fait les jeunes de Kabylie en 2001.
C’est ce qu’ont fait les jeunes de Ghardaïa.
C’est ce qu’ont fait les jeunes de Ouargla.
C’est ce qu’ont fait les jeunes des Aurès.
C’est ce qu’ont fait les jeunes de l’Oranie.
C‘est ce qu’ont fait les jeunes de Constantine.
C’est ce qu’ont fait les femmes de Hassi Messaoud traquées et violentées qui ont osé défier la loi de l’omerta.
C’est ce qu’ont fait les syndicats autonomes qui ont osé construire des rapports de force en faveur des travailleurs depuis des années. C’est ce qu’ont fait certaines associations… Et tous ces quartiers d’Algérie rendus furieux par l’exclusion et la hogra… Et ces bataillons de harraga…
Et même si cela n’a pas fait tomber le régime, cela a participé à mettre en évidence ses tares et ses faillites.

Pour l’autodétermination du peuple algérien

Il manque pourtant à toutes ces résistances à l’injustice, à la violence et à l’oppression un ancrage social plus large.
Il leur manque l’aide et le soutien de médias libres et crédibles.
Il leur manque de se voir et de savoir ce qui les lie et ce qui les sépare et comment ne pas tomber dans les pièges de la division, de la dispersion et de la diversion…
Mais, pour autant, il serait vain de se mentir et de ne pas voir que le mur de la peur a été remplacé et aggravé au plus profond de la société par un mur de lassitude et de dégoût devant la vénalité et la vassalité des fausses élites imposées à l’ombre de la terreur, de la mafia politico-financière, des élections truquées, des médias sous haute surveillance.
Certes, la proximité des révolutions tunisienne et égyptienne donne un coup d’accélérateur à l’histoire.
Certes, le contexte international du XXIe siècle ne peut plus se suffire des dictatures impopulaires et corrompues du siècle précédent.
Certes, une époque s’achève avec ses références et ses outils de domination. Une autre est en train d’émerger avec de nouveaux acteurs, de nouvelles générations et de nouvelles méthodes de lutte.
Et, plus que jamais auparavant, la libre autodétermination des peuples est partout à l’ordre du jour.
C’est pour l’empêcher que des solutions illusoires sont montrées par les mêmes vieilles officines qui ont fait le malheur de ce pays. Des solutions qui mettent de nouveau de côté la mobilisation de la société et son organisation pacifique.
Il est des circonstances de l’histoire où il suffit d’un bulletin de vote pour exprimer l’autodétermination d’un peuple.
C’est le cas pour mettre un terme à une guerre d’indépendance. Mais pour mettre fin à une guerre de décomposition sociale, l’autodétermination du peuple s’exprime par une large mobilisation de toutes les composantes de la société à l’intérieur de tous les cadres qui sont à sa portée.

Du collectif de quartier au mouvement syndical, de l’association écologique au mouvement d’étudiants et du mouvement des femmes pour leurs droits à celui des lycéens, des chômeurs, de l’organisation autonome des cadres, des intellectuels, des universitaires à l’organisation sérieuse des entrepreneurs et de toutes les corporations.
Pour que la vie des partis politiques ne soit pas qu’une lutte perpétuelle pour le positionnement interne.
Pour que la vie politique nationale ne soit pas mise en hibernation entre deux élections.
Pour que les militants des partis politiques ne soient pas pris en otages par des appareils qui se compromettent à négocier des privilèges indus.
Et pour que le pays ne soit pas en permanence mis en demeure de choisir entre la peste de la guerre civile et le choléra de la dictature politique ou religieuse. L’autodétermination du peuple doit pouvoir s’inscrire en chaque chose, petite et grande, de la cité. Pour que la politique redevienne un acte non coupé de la pratique citoyenne effective. Pour que chaque Algérien apporte et assume sa part dans la construction et la sauvegarde de son pays. Une part qui ne peut se résumer au soutien apporté à une équipe de football ou à un drapeau accroché à un balcon.
Avec le déclenchement d’une dynamique de débat national qui porte sur les préoccupations quotidiennes des citoyens.
Avec l’éclairage des intellectuels, des universitaires et des experts engagés auprès de leur société sur la base des préoccupations et des souffrances vécues par cette même société.
Avec la force de conviction et d’engagement des citoyens et des militants, et avec le retour de la confiance en soi et entre soi, le lien social et le lien politique seront de nouveau tissés.

Pour une assemblée constituante

C’est seulement au terme d’une remobilisation citoyenne et politique des Algériens que nous pourrons aborder l’ensemble du processus électoral devant aboutir à une refondation institutionnelle, qui remette les droits des citoyens, leur sécurité et leur développement ainsi que ceux du pays au cœur d’une Constitution digne de ce nom, parce qu’enfin issue d’une assemblée constituante librement élue par des Algériens libres. Ceux qui participeront à l’élaboration de ce processus seront les premiers Algériens véritablement libres, et ceux qui seront partis avant, ne se seront pas battus pour rien.

Hocine Aït Ahmed. Mardi 22 mars 2011


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