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Friday 29 April 2011

"Pour les djihadistes salafistes, Marrakech est symbole de débauche"

Parmi les témoins, un homme écrase une larme devant la façade endommagée du café Argana, touché par un attentat le 29 avril 2011 à Marrakech.
Parmi les témoins, un homme écrase une larme devant la façade endommagée du café Argana, touché par un attentat le 29 avril 2011 à Marrakech.AFP/ABDELHAK SENNA

Lhoussain Azergui est journaliste indépendant, chef du projet "Afrique du Nord, Proche-Orient" à l'ESISC, un centre européen de recherche, d'analyse et de conseils en matière stratégique basé à Bruxelles. Auteur du livre Le Maroc face à l'islamisme (Editions Edilivre Aparis, 2011). Il revient pour Le Monde.fr sur l'attentat de jeudi sur la place Djemaa el-Fna.
Comment les Marocains ont-ils réagi en apprenant l'attentat de la place Djemaa el-Fna ?
Lhoussain Azergui : Cela a été un choc mais, quelque part, ils s'y attendaient. Cela fait quelques mois que la situation sécuritaire est très tendue dans le pays. Il y a eu de nombreux signes avant-coureurs. Le 14 avril, 190 salafistes ont été libérés. Le lendemain, Abdellatif Zahraoui, l'un d'entre eux, a commis un attentat. Ce salafiste a attaqué les clients du café Al-Hafa, à Tanger, à l'aide d'un sabre. Il a blessé un touriste français et tué un Marocain. Peu auparavant, le 13 janvier, deux terroristes de la Salafia Djihadia [mouvement islamiste] ont été arrêtés à Salé alors qu'ils préparaient des attaques kamikazes contre des cibles à Rabat.
A-t-on aujourd'hui des indications sur les auteurs de cet attentat ?
Je fais beaucoup de veille sur les sites Internet où les attentats sont habituellement revendiqués. Pour l'instant, rien. Alors il est encore trop tôt pour être formel mais trois scénarios se dégagent : Al-Qaida au Maghreb islamique, le Groupe islamiste de combattants marocains ou encore des terroristes isolés. Mais dans les jours qui viennent, on pourrait avoir plusieurs revendications car la nébuleuse salafiste marocaine est très variée.
Pourquoi viser Marrakech ?
Cette ville est depuis toujours une obsession pour les djihadistes salafistes. Pour eux, c'est une ville symbole de débauche. La littérature islamiste en parle comme de la nouvelle Sodome et Gomorrhe, la ville qu'il faut détruire. Ils dénoncent une"invasion" de "mécréants" occidentaux. Le café Agrana était le symbole du lieu de rendez-vous des "mécréants". Il y a toujours cette profonde haine de l'Occidental dans la littérature islamiste. Il est porteur de toutes les valeurs de modernité et de laïcité.
La population partage-t-elle ce jugement à l'égard des Occidentaux ?
Oui, en partie. Ce discours rencontre un certain succès dans la rue à Marrakech. Une étude en 2008 estime que plus de 35 000 Français sont installés à Marrakech, souvent des retraités. Certains pensent que ce tourisme a permis de faire avancer et moderniser la ville. D'autres assistent à l'écroulement de leur vieux monde fait de traditions et voient d'un mauvais œil la transformation de leur ville en – je reprends leur expression – "un grand bordel".
De plus, avec l'achat massif de riads par les Occidentaux, notamment des stars internationales, les prix de l'immobilier ont bondi. Il est donc vrai que le tourisme a profondément transformé Marrakech, qui devient de fait un morceau d'Europe au cœur du Maroc.
Les terroristes voulaient certainement toucher l'industrie du tourisme…
Il est certain que cet attentat portera un coup très dur à la manne touristique cet été. Les islamistes veulent le départ de Mohammed VI, qu'ils traitent de tous les noms d'oiseaux possibles. Ils essaient donc de le priver de l'énorme ressource des millions de touristes qui visitent le pays chaque année. Cette année particulièrement, les gens ont évité de partir en Egypte et en Tunisie et se rendaient ou comptaient se rendre au Maroc. Et cela ne va pas s'améliorer car j'estime qu'il pourrait y avoir d'autres attentats rapidement.
L'attentat de jeudi doit-il être analysé à la lumière du "printemps arabe" ? Le Maroc a aussi été le théâtre d'importantes manifestations…
Mohammed VI a promis des réformes de grande envergure vraiment audacieuses. Les Marocains se sont libérés et sont descendus dans la rue partout dans le pays afin de revendiquer plus de démocratie et de liberté. C'était impensable il y a encore quelques années. Mais cet attentat pourrait porter un coup très dur aux projets de réforme. Au point que la théorie conspirationniste est en marche.
Le site Internet marocain Hibapress a accusé jeudi soir le secrétaire particulier du roi Mohammed, Mounir Majidi, et le patron du Parti authenticité et modernité (PAM),Fouad Ali El-Himma, d'être derrière l'attentat de Marrakech.
D'un autre côté, l'ex-lieutenant des forces armées royales (FAR), Abdelillah Issou, aujourd'hui exilé politique à Madrid, a publié sur YouTube une vidéo dans laquelle il accuse l'Etat marocain d'être derrière cet attentat et annonce déjà l'instauration de"l'état de siège" sur tout le territoire national. De même, des salafistes incarcérés à Salé ont publié une vidéo pour accuser l'état de manipulation afin d'empêcher la"révolution marocaine".
Je n'y crois pas du tout, car les mouvements terroristes existent bel et bien au Maroc. Mais il est vrai qu'on va certainement assister à un énorme coup de filet dans les milieux islamistes et peut-être à des interdictions de manifester après cet attentat. Il est évident aussi que cet attentat va retarder et influencer les réponses du pouvoir royal aux revendications populaires.
Il est possible enfin que la monarchie et le mouvement du 20 février fassent une espèce d'union sacrée contre le terrorisme. Ces moments de grand malheur peuvent unir les Marocains et le pouvoir.
Propos recueillis par Paul Larrouturouhttp://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/04/29/pour-les-djihadistes-salafistes-marrakech-est-symbole-de-debauche_1514785_3212.html#ens_id=1514188&xtor=RSS-3208

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