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Friday 4 July 2014

Israël-Palestine: la tragédie des représailles collectives

Israël-Palestine: la tragédie des représailles collectives
par William Saletan,
le 4 juillet 2014

Israël est en rage. Lundi, les corps de trois adolescents juifs enlevés et tués le 12 juin ont été retrouvés. Mardi, dans les rues de Jérusalem, la foule scandait «mort aux Arabes» et des passants arabes se faisaient agresser. Au même moment, trente-cinq mille personnes cautionnaient une page Facebook en appelant à la vengeance. Et mercredi, un autre jeune garçon était kidnappé et tué. Mais, cette fois-ci, la victime est palestinienne.

Nous ne savons pas encore qui a tué cet adolescent. Mais une chose est certaine: l'état d'esprit au cœur du terrorisme –la volonté de punir toute une population pour les fautes de quelques-uns– a contaminé Israël.

La loi du talion

Les enseignements du judaïsme –comme de l'islam et du christianisme– prohibent de faire délibérément ou négligemment du mal à des innocents. Mais, depuis très longtemps, Israël est aux prises avec des menaces terroristes venant de toutes parts. Et de cette amère expérience, le pays a progressivement fait de la loi du talion sa doctrine: à chaque attaque, contre-attaquer vite et fort pour décourager ses ennemis d'attaquer à nouveau. L'un dans l'autre, terrorisme et réciprocité ont donné naissance à une certaine politique de représailles collectives.    

On le voit par exemple dans la présomption de responsabilité géographique endossée par Israël. Selon un décret annoncé voici deux ans par son chef d'état-major, des attaques touchant le pays auront comme conséquences des représailles militaires contre l'ennemi situé au plus proche, qu'importe le véritable responsable. Ainsi, si Israël est attaqué au sud, son armée ciblera le Hamas à Gaza. Si c'est au nord, elle s'en prendra au Hezbollah, au Liban.   

La tradition israélienne consistant à démolir les maisons de Palestiniens suspectés de crimes en est un autre exemple.Qu'importe que le suspect ait été condamné ou non, qu'il soit ou non propriétaire de la maison ou que d'autres personnes –parents, frères et sœurs, enfants– y vivent.

L'objectif, selon le porte-parole du Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, consiste à «dissuader les attaques». Selon la Cour suprême d'Israël, l'auteur des faits «doit savoir que ses actions criminelles lui feront du mal, mais sont aussi susceptibles de causer de grandes souffrances à sa famille»

Moralement parlant, de telles politiques ne sont pas équivalentes à des attaques délibérées contre des civils. Mais si votre gouvernement se met à rationaliser la destruction de logements où vivent des enfants, difficile de savoir où vous arrêter. Israël a ainsi de plus en plus de mal à endiguer la recrudescence d'incendies criminels et autres actes de vandalisme aveuglesperpétrés par des colons à l'encontre d'Arabes.

La doctrine de la responsabilité collective

Dans les semaines qui ont précédé les enlèvements du 12 juin, Netanyahou usait de la doctrine israélienne de la responsabilité collective pour mettre fin aux pourparlers de paix avec le président palestinien Mahmoud Abbas. «Israël ne mènera aucune négociation diplomatique avec un gouvernement palestinien soutenu par le Hamas», déclarait ainsi Netanyahou. Qu'importe que les ministres du gouvernement palestinien n'appartiennent pas au Hamas ni ne communiquent avec lui.  

Le Hamas a de lourds antécédents terroristes et a salué les enlèvements du 12 juin. Mais, contrairement à d'autres groupes terroristes, il n'a pas revendiqué la responsabilité de ces crimes (mardi, il a même globalement dénié toute implication). Ce qui n'a pas empêché Netanyahou de s'en prendre immédiatement au Hamas et ce sans la moindre preuve.

Deux semaines plus tard, Israël identifiait deux suspects, dont un soi-disant recruté par le Hamas. Mais comme le souligneMax Fisher, les suspects appartiennent en réalité à un clan d'ordinaire hostile au Hamas. De même, pour Netanyahou, le Hamas est responsable de la récente flambée de violences terroristes en Cisjordanie, ce qui va à l'encontre d'informations venant des services secrets et qui lient cette recrudescence à des «citoyens palestiniens isolés» et à des cellules djihadistes indépendantes du Hamas.

S'en prendre à Abbas pour les enlèvements est encore plus tiré par les cheveux. Il a condamné le crime et a aidé Israël dans sa recherche des coupables. Mais selon la théorie israélienne de la responsabilité collective, lui aussi est coupable. 

Israël n'a pas condamné le meurtre du jeune palestinien

«Si les enlèvements ont été fomentés sur le territoire palestinien, elle [l'Autorité palestinienne] est responsable», a ainsi déclaré un des ministres de Netanyahou. «S'ils ont été mis à exécution par le Hamas, qui est représenté par le gouvernement de l'Autorité palestinienne, alors l'Autorité palestinienne est responsable.» Un autre ministre a promis qu'Israël allait «faire payer le prix fort au leadership palestinien».

Ces déclarations sont loin d'être uniquement rhétoriques. Depuis le 12 juin, Israël y a vu la justification d'assauts contre le Hamas et tous ceux qui y sont associés, à Gaza, comme en Cisjordanie. Selon le porte-parole de l'armée israélienne, la mission d'une telle campagne est de «porter un coup substantiel au Hamas –ses infrastructures, ses institutions, et tout ce qui permet encore de le maintenir en vie».

Pendant une semaine, les routes menant à Hébron ont été bloquées par l'armée israélienne. Des raids et des perquisitions ont été menés contre des centaines, si ce n'est des milliers de foyers. Plus de 400 personnes ont été arrêtées –dont des enseignants, des imams, des législateurs et d'anciens ministres du gouvernement. Les locaux d'une organisation non-violente qui avait facilité la réconciliation du Hamas et d'Abbas ont été mis à sac. Dans les prisons, les détenus palestiniens n'ont plus eu le droit de recevoir la visite de membres de leur famille. Les maisons des suspects –qui n'ont pas été trouvés, et encore moins jugés– ont été démolies, qu'importe que leurs proches vivaient encore à l'intérieur. Des raids aériens ont été lancés contre Gaza et le Hamas a été déclaré responsable de toutes les roquettes tirées depuis la Bande.

«Soit le Hamas arrête les tirs de roquettes, vu que le territoire est sous sa responsabilité, soit nous y mettrons fin», adéclaré Netanyahou.

Rassemblés à Jérusalem, des centaines d’Israéliens ont réclamé que coule le sang arabe. Des militaires et des officiers de police ont posé, en armes, sur des pages Facebook exhortant à la vengeance. «Du sang pour le sang», pouvait-on lire sur une photo, «Mort aux Arabes» sur une autre. D'autres encore en appelaient à des raids contre Gaza ou le Golan, bien loin du lieu des enlèvements.

Si seulement Israël avait su préférer l'éthique de la responsabilité individuelle à la culture des représailles collectives

 

Puis il y a eu le meurtre de ce garçon palestinien. Le 3 juillet, nous ne connaissions pas encore les auteurs des faits. Mais la réaction d'Israël n'a rien eu à voir avec celle qui fut la sienne après les enlèvements du 12 juin.

Au lieu de condamner sans attendre les partis et les politiques, le ministre israélien de la Sécurité intérieure, Yitzhak Aharonovich, a demandé aux Palestiniens de «baisser d'un ton» quant à leurs accusations à l’encontre des juifs. «Les possibilités sont nombreuses, qu'elles soient criminelles ou nationalistes, a-t-il avancé. Toutes seront examinées de façon responsable.»

Pour de nombreux Israéliens, traumatisés par l'idée qu'un juif puisse être l'auteur de ce meurtre, le temps est à l'examen de conscience. Le ministre israélien de la Justice a déclaré qu'un tel crime serait considéré comme du terrorisme.

Si seulement Israël avait fait preuve d'autant de retenue après les enlèvements du 12 juin. Si seulement, pendant toutes ces années, le pays avait su préférer l'éthique de la responsabilité individuelle, au lieu de s'enfouir dans une culture des représailles collectives... Une telle retenue aurait-elle permis à quatre garçons d'avoir la vie sauve? Peut-être pas. Mais elle pourrait aujourd'hui permettre de sauver Israël.

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