DAR BEN-ATTIA, GABES, 2e GUERRE MONDIALE
(1ère Partie)
Le couple Gracia et Eliahou Ben-Attia eurent trois garçons. Itsh'ak, Khamous et Nissim. Eliahou était un jeune homme quand il était venu à Gabès, de Lybie, et durant un siècle et demi et des mariages presqu'exclusivement entre cousins germains, les Ben-Attia avaient formé une tribu. Là-bas, les grandes familles recevaient le titre de Dar (Maison). Ce titre leur était donné par les autres car certains ne portaient pas leur nom de famille. Il y avait la Dar Mimoun, Dar Seroussi, et dans notre cas Dar Ben-Attia. Ma Mère m'a dit un jour que la famille du ministre Sylvain Shalom était surnommée Dar-el-Kadi (la maison du Juge).
Il s'était créé un lien excellent entre Dar Ben-Attia et cette ville-oasis située aux confins du Sahara , sur un beau golfe qui porte son nom. Certains membres s'étaient distingués par leur service à leur communauté. Jusqu'aux années 40, la 2e guerre Mondiale et le nationalisme arabe, il y eut un bouleversement qui changea des règles centenaires.
Après la Guerre, commença l'exile vers le Nord, vers la capitale puis la traversée de la Méditerranée pour s'établir en France ou en Israël. L'histoire de certains membres de cette "tribu" et la disparition d'autres, avant l'heure, pendant la Guerre, seront le sujet de notre travail ici.
Issh'ak eut 4 garçons et 3 filles, Khamous, son frère eut 4 garçons et 4 filles.
C'était aux temps où les parents choisissaient le conjoint de leur enfant sans que les héros n'aient vu l'un l'autre avant la rencontre sous la Houpa. Quoi de plus rassurant pour un frère que d'aller choisir chez l'autre, le bonheur de leurs enfants. Voyons maintenant un de ces échanges, je dirai presque un Croisement, de 2 couples de cousins germains Ainsi Roubine fils de Isshak épousa Bheila fille de Khamous et Sarina sœur de Roubine épousa Abraham , frère de Bheila. Ce couple fut mes grands-parents. Il n'était pas facile de décrire graphiquement les liens de parenté des générations et les problèmes d'hérédité que ces liens pouvaient créer. Heureusement, à la base, ces gens-là devaient être d'une bonne santé. Plus tard, avec l'appréhension des lois de l'hérédité, ces liens se faisaient de plus en plus rares.
Pour surmonter la difficulté de tracer un diagramme de ces liens familiaux, j'ai dû me résoudre à en choisir une branche qui était indispensable pour tracer la chaine des générations des personnalités figurant dans ce travail. Les autres membres ont été "mis de côté". Même les épouses, dont j'ai oublié les prénoms, ne figurent que dans un carré symbolique: Toutes mes excuses.
Nous reviendrons plus tard sur l'histoire de Roubine, qui est le principal sujet de la saga de personnalités qui ont marqué pour moi les années du 20 e siècle
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Un autre couple de cousins eut 6 filles et 2 garçons. Une des filles étaient ma grand-mère maternelle, ce qui montre que même ma mère faisait aussi partie de la famille.
Un des fils de ce couple, appelé Azar, eut un destin tragique, on en parlera plus tard.
Une personnalité qui était intéressante est un des frères à mon grand-père Abraham.
- Il s'appelait Rfila et différait de l'archétype de sa tribu. Nous y retournerons.
Après cette introduction généalogique, je décrirai d'abord le récit des 2 frères Roubine et Shaul, de ma grand-mère paternelle Sarina.
Roubine Ben-Attia, dont je tacherai de raconter l'histoire, le plus objectivement possible. Il fut à la base de ce travail.
Nous l'appelions Baba-Roubine et les amis de la famille l'appelaient Cheikh Roubine. Toute son attitude lui attribuait du respect. Sans en avoir point besoin, il tenait une belle baquita (canne). Il l'employait surtout pour la distinction de sa démarche. Je l'avais appelée la démarche à 4 pas, Le bout de la canne ne touchait terre qu'après qu'il eut fait 4 pas. Après les 2 premiers pas, il pointait le bout de la canne à un angle de 45 degrés devant lui. C'est seulement après 2 autres pas qu'il la pointait vers le sol. Quand j'étais adolescent, j'avais essayé d'imiter cette démarche.
Il n'était pas riche mais avait une bonne situation économique. Quand ma petite famille habitait une seule chambre, avec plusieurs autres familles, autour d'une grande cour, il avait une "grande" maison avec 3 chambres et une cour. Il habitait à 2 maisons de celle du grand Rabin Haïm Houry. Je n'avais pas oublié ces petits détails, même après que nous eûmes déménagé vers la Capitale en fin 1947.
Ma Mère, Tunis
A Tunis, mon père succomba à sa maladie, quelques mois après notre arrivée à Tunis et ma mère se retrouva seule, avec 4 gosses, (j'étais l'ainé et j'avais à peine 11 ans) sans instruction ni métier ni aucun support de la famille. Elle était de petite taille, moins de 1 m 50, mais physiquement solide.
Fillette, elle avait à peine 10 ans, quand elle perdit sa mère et devait déjà s'occuper de toutes les taches familiales. Son père, Rebbi Messoud Seroussi, se remaria après quatre mois de veuvage. Malheureusement sa nouvelle femme était presque toujours couchée, malade ou après un accouchement dont plusieurs se terminaient par des avortements. Plus tard, je vis que cette femme était la bonté en personne, malgré les apparences, elle vécut plus de 90 ans.
Je demandais souvent à ma mère de me montrer la grande cicatrice de la brulure qu'elle avait sous l'aisselle, brulure qu'elle reçut quand elle avait plongé sa courte main dans le Taboun, pour y "coller" une ftira (pita). Sa force et sa vitalité lui ont permis d'entretenir sa famille paternelle, puis après le décès de mon père, elle le fit pour sa famille, 4 orphelins. Elle vécut plus de 50 ans après la disparition de mon père.
Son père lui avait interdit toute scolarité, son intelligence et sa mémoire, lui ont permis de retenir par cœur tout ce qu'elle entendait. Très jeune, dans la maison paternelle, elle devint une très bonne cuisinière. Plus tard, je la regardais faire, ainsi elle m'avait fait aimer la cuisine de ses ancêtres, pour le plaisir des générations futures.
La communauté de Tunis distribuait aux indigents, chaque semaine, une somme dérisoire qu'on appelait le Halouk. Mais ce qui fut une aide importante était "Dar Tqeya", (qu'on peut traduire par, la Maison du Soutien,) une cantine qui permettait aux enfants pauvres, d'avoir un déjeuner chaud, chaque jour. Ma mère ne revenait pas à midi à la maison et ce repas était important pour nous.
Notre petite chambre dans le quartier juif de Tunis, était le seul foyer pour la tribu, restée à Gabès et nous avions hébergé, pour de courtes durées, dans cette chambre, des "réfugiés du Sud" qui attendaient à Tunis leur départ vers la France ou vers Israël.
Baba Roubine
Baba Roubine dirigeait une compagnie de transport entre Gabès et Tunis (450 km) et accompagnait souvent sa marchandise entre les 2 villes. Quand il était à Tunis, il venait nous voir et déguster les mets que ma mère lui préparait. Il disait souvent, pour la taquiner qu'elle cuisinait presque aussi bien que la tante Bhila, sa femme.
Connaissant notre situation économique, il profitait de chaque visite pour apporter avec lui toutes les provisions qui nous manquaient, et pour plusieurs jours à l'avance. Il revenait vers midi avec sa bouteille de vin rouge pour un repas en famille.
Pour nous c'était jour de fête, inoubliable jusqu'à la prochaine visite. Ces repas ont resserré les liens avec Baba Roubine plus qu'avec les autres membres de la famille.
La famille du Cheikh Roubine a fait sa Allya en 1964, sept ans après nous. Nous étions déjà bien établis en Israël. Installée au Sud d'Israël, à Kiriat Gat, une nouvelle ville d'immigrants et un centre administratif pour les Moshavim de la région.
Les autorités de l'immigration n'ont tenu aucun compte des services qu'il avait rendu à la communauté "là-bas". Cet octogénaire n'était plus que l'ombre de ce qu'il était resté dans mes souvenirs, mais il gardait toujours sa dignité de cheikh et sa "chéchia" (chapeau rouge tunisien) avait toujours le long panache de fils noirs qui lui tombait sur l'épaule.
Il avait continué, en Tunisie et en Israël, à signer des Attestations à tout Israélite qui a été envoyé travailler dans les camps nazis de Gabès et ce jusqu'à la fin de sa vie.
Malgré la distance de Haïfa, je lui avais souvent rendu visite. Il disparut en 1975, entouré de ses enfants et arrière-petits-enfants.
Seulement depuis mon arrivée en Israël, j'appris du cousin Nissim (de 6 ans mon ainé) que le cheikh Roubine (son oncle) a été accusé d'avoir trahi sa communauté durant l'occupation nazie de Gabès. Le cas fut porté devant les tribunaux de Tunis qui acquittèrent le cheikh de toutes les accusations. Il ne pouvait me montrer aucun document sur ce chapitre de l'histoire de notre famille.
Il y a près d'un an je reçus un Mail d'un universitaire tunisien, le Professeur Mohsen Hamli, qui me demandait des détails sur Cheikh Roubine Ben-Attia. Il faisait, m'a-t-il écrit, des recherches sur les Cheikhs juifs en Tunisie, durant l'occupation nazie. Il avait surement trouvé ma parenté et mon adresse à la fin d'un de mes articles publiés sur Harissa.com. J'ajoute toujours à mon nom original, mon nom Hébraïsé suivis par mon adresse Email.
Après quelques mois je reçus les documents présentés ici, ce fut le déclenchement d'un besoin urgent de rendre ces documents publics, ici, et de les passer ensuite aux Archives de YAD VASHEM.
Je tiens à le remercier vivement pour le service rendu à la "tribu" et à l'histoire de notre communauté.
Le rôle du cheikh était, entre autres de représenter la communauté juive devant les autorités locales et de s'occuper des droits et des devoirs des individus et de la communauté en tant que groupe.
Dans les années 30, M. Houati Haddad avait servi comme cheikh des juifs de Gabès. Son service n'a pas satisfait les notables de la ville (jugement donné par le Gouverneur, lettre plus haut), qui le révoquèrent et nommèrent Baba Roubine à sa place. C'était juste avant l'invasion de la Tunisie par l'Africa-Corps de Rommel, dans sa retraite de Libye. Gabès étant une ville située non loin de la frontière libyenne et un point stratégique, il y avait une base militaire française muni d'un aéroport en fonction.
Le cheikh Roubine ainsi que le grand rabbin Haim Houry, qui étaient en somme voisins, furent chargés de remplir les taches les plus abjectes que les nazis avaient infligées aux juifs de Gabès, depuis le saisi des richesses personnelles (bijoux et comptes bancaires) jusqu'au recrutement forcé des travailleurs juifs dans les camps nazis.
En Israël, avec notre assimilation dans le pays, je m'étais intéressé aux malheurs de la Shoa et à ce que les juifs avaient souffert des crimes nazis en Europe et en Afrique du Nord.
J'ai compris que les nazis avaient contraint Baba Roubine de remplir le rôle du JUDENRAT de la communauté de Gabès. Une plainte de trahison grave avait été déposée contre lui, par celui qui avait rempli son rôle avant l'invasion nazie. Le tribunal de Tunis avait statué que la plainte était un coup monté contre Roubine et l'a acquitté de tout soupçon.
Avec ces documents j'ai pu retracer l'histoire de l'époque, les personnalités et le dénouement heureux pour Baba Roubine.
Après la victoire des Alliés et le départ des nazis de Tunisie, un groupe s'organisa, probablement sous l'instigation de M Houati Haddad et porta une plainte de 5 accusations contre le cheikh Roubine. Ces actes d'accusation "reposaient" soi-disant "sur des enquêtes et des témoignages des notables de la communauté"
Le Gouverneur qui enquêta par la suite, découvrit la nullité des faits cités, il félicita la haute moralité de Roubine et accorda à Houati Haddad le compliment d'être " homme de mauvaise moralité et sans scrupules." (voir lettre plus haut).
Notre histoire eut une fin, que même Shakespeare avait jugée incroyable pour "Roméo et Juliette". Vérone n'est pas Gabès et Kippour revient chaque automne pour effacer les rancunes des générations d'hier. Malgré les controverses et les dures relations entre les cheikhs Roubine et Houati, la petite fille du premier, épousa le benjamin du second. Ils vécurent 50 ans ensemble; jusqu'au décès du mari il y a quelques mois.
Shaul Ben-Attia
M'étant limité aux personnalités ayant rapports à la guerre. Je ne l'aurais pas rappelé ici mais son activité durant les années 40 était importante, mais discrète et indirecte….
Il était un des frères de ma grand-mère et de Roubine. Il se nommait Shaul, il était l'ainé et le plus aisé de ses frères. On disait qu'il connaissait le Coran par cœur et ses amis Arabes aimaient le faire participer dans leurs discussions, qu'il enrichissait par ses connaissances
je l'ai très peu connu, mais on parlait souvent de sa générosité, sa noblesse d'amé et de l'aide qu'il accordait à certains membres de la tribu.
On m'avait aussi dit qu'il avait aidé son frère Roubine durant son affaire devant le tribunal de Tunis.
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