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Sunday, 23 November 2014

Abdelatif Benachenhou : «L’Algérie, un pays pauvre se croyant riche»


El Watan, 23 novembre 2014

C’est dans ce contexte de crise latente que l’ancien ministre des Finances, Abdelatif Benachenhou, a fait part hier de son opinion au sujet des risques et menaces qui pèsent aujourd’hui sur l’économie nationale, en s’attardant sur les raisons de l’atonie chronique de la croissance.


L’ancien ministre résumera d’ailleurs la situation avec son franc-parler en une seule phrase, loin d’être anodine d’ailleurs : «L’Algérie est un pays pauvre se croyant riche.» Abdelatif Benachenhou, qui intervenait, hier, lors d’une conférence organisée par l’Association des diplômés de l’IFID, jette ainsi un pavé dans la mare mais à dessein. Car il faut, estime-t-il, se dire les choses et regarder en face les réalités. Une réalité économique qu’il assimile à une crise du régime de croissance.



Une affirmation qui s’appuie sur le fait que malgré des investissements colossaux depuis une quinzaine d’années, la moyenne de la croissance globale a oscillé entre 3 et 3,5%, sous réserve de l’exactitude des statistiques délivrées par l’Office national des statistiques. Une situation qui reflète, selon l’orateur, un manque d’efficacité marginale du capital (de l’investissement). Celui-ci explique cet état de fait par des raisons liées principalement à la structure des investissements. Une structure caractérisée par la prédominance de l’investissement public, autrement dit de la dépense financée par le budget de l’Etat, laquelle prend le pas sur le reste des compartiments, comme les investissements destinés au secteur de l’énergie, et très loin derrière, les investissements productifs des entreprises.



M. Benachenhou développera dans ce sillage qu’entre 2004 et 2012 l’investissement public a représenté 60% de la structure des investissements, contre 25% pour le secteur de l’énergie et 15% partagés entre tous les secteurs, dont seulement 4% de parts pour les entreprises de production. Il nous a confié que la majorité des entreprises algériennes gravitent autour de la dépense publique, et très peu sont véritablement sur le marché.

Fidèle à lui-même, l’ancien ministre des Finances a ainsi dressé au passage un réquisitoire concernant l’efficacité de l’investissement public, lequel étant non marchand n’a seulement pas contribué à créer de la valeur ajoutée en Algérie, mais en a plutôt créé hors de notre pays, vu que les chantiers ont été confiés à des entreprises étrangères. Il a également vivement critiqué la politique de subventions généralisées, estimant que celles-ci ont participé à atrophier les capacités productives des entreprises, et induisent un manque à gagner en matière de valeur ajoutée dans le secteur de l’énergie.


Des choix qui ont ruiné l’Algérie

L’énergie, il en est justement beaucoup question dans l’exposé de M. Benachenhou. Celui-ci a dit d’emblée que les choix en matière de politique énergétique, notamment dans l’industrie gazière, ont contribué à ruiner le pays. Il justifie son propos sans équivoque par le fait que dans l’industrie gazière, les erreurs sont légion. Pour preuve, beaucoup d’argent a été investi dans de nouvelles capacités d’exportation et de liquéfaction de gaz naturel, lesquelles atteignent aujourd’hui 88 milliards de mètres cubes, tandis que l’Algérie n’exporte pas plus de 50 milliards de mètres cubes annuellement. Il ira plus loin en rappelant les propos de Belaïd Abdesselam qui avait estimé qu’à cause de la dénonciation des contrats de gaz d’El Paso, l’Algérie avait perdu pas moins de 25 milliards de dollars en raison des capacités de production et d’exportation installées et devenues de fait oisives.

L’ancien ministre estime dans ce sens qu’il ne faut pas retomber dans les erreurs du passé, il faut réfléchir en ce qui concerne l’attractivité du domaine hydrocarbures algérien, dans la mesure où dans un contexte de déclin des gisements et de la ressource ainsi que de la production d’hydrocarbures, notamment de gaz, sur 77 blocs offerts à l’exploration depuis 2008, seuls 17 ont été attribués. L’orateur invite aussi et surtout à réfléchir aux conséquences de la situation actuelle. Car au-delà de la fragilité de la croissance et de l’emploi, l’ancien ministre insiste sur le déclin du patrimoine des entreprises notamment publiques, ainsi que sur la fragilité fiscale, autrement dit du budget de l’Etat.


Il rappelle à ce titre que les recettes ordinaires ne couvrent que 50% du budget de fonctionnement, lequel est consacré à 40% aux salaires de la Fonction publique et à 40% aux transferts sociaux. Il évoque ainsi une rigidité budgétaire qui doit induire une réflexion quant aux priorités à donner dans la confection d’un budget surtout en cas de retournement de situation, avec un recul des prix du baril de brut en plus de la baisse des volumes d’hydrocarbures produits et exportés. Il considére d’ailleurs qu’on enregistre un déficit global du Trésor depuis au moins cinq ans couvert par les décaissements du FRR et les ressources des collectivités locales.

C’est une situation loin d’être normale, selon l’orateur. Ce qui le pousse à penser que tout cela devra induire des réformes de la politique du logement, des subventions mais aussi et surtout de la structure des investissements, car il faudra redéployer l’investissement en affectant une partie de la ressource au marché et aux entreprises, mais pas n’importe lesquelles.
M. Benachenhou estime que les risques grandissent, le premier coup de semonce sera pour 2020 et si rien n’est fait la date butoir de 2030 sera synonyme de sérieuses difficultés. Il faudra aussi réformer au plus vite, selon l’ancien ministre, les subventions. Celui-ci évalue que pour en sortir il faudra 6 ans au minimum pour les carburants et
4 ans pour l’électricité.
Roumadi Melissa

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