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Tuesday, 30 August 2011

«La misère sociale est visible durant le mois de Ramadhan»

El Watan, 27 août 2011
- La pauvreté en Algérie est en recul, selon le gouvernement, mais le mois de Ramadhan est là pour battre en brèche les arguments de l’Exécutif. Des centaines de personnes fouillent quotidiennement les bacs à ordures en quête de nourriture et dorment à la belle étoile. Comment qualifiez-vous cette catégorie de personnes et quelle analyse faites-vous de cette situation ?
La mesure de la pauvreté reste encore un véritable problème pour les scientifiques. Les Nations unies, la Banque mondiale et la FAO ont développé des méthodologies très fines pour mesurer ce phénomène à partir d’un volume de base de calories nécessaires à l’homme. Quelques études ont été élaborées pour le compte du gouvernement… Toutes ces études attestent un recul de la «pauvreté absolue» ! Est-ce que les «experts» se sont trompés ? Dans notre dernier ouvrage La paupérisation des sociétés maghrébines (Cread, 2008), les auteurs, de différentes disciplines, attestent que la pauvreté gagne du terrain en Algérie, comme dans les autres pays du Maghreb. Nous avons mis en évidence que malgré le recul de la pauvreté absolue, la pauvreté relative a progressé, avec de nouveaux pauvres, provenant notamment des couches moyennes fragilisées et basculées au bas de l’échelle sociale…

Mieux encore, malgré la baisse du taux de chômage (discutable d’ailleurs), quelques années auparavant dans un autre ouvrage collectif portant sur L’informalisation des économies maghrébines (Cread, 2006), nous avons observé une économie informelle très dynamique. La situation algérienne mérite d’être étudiée plus en profondeur. Le mois de Ramadhan est une période exceptionnelle où l’informel est très actif et la pauvreté refait surface, pas seulement en Algérie, mais dans les trois pays du Maghreb.
En effet, de plus en plus de personnes (des enfants) fouillent les bacs à ordures et trouvent de quoi se nourrir, se vêtir ou encore se faire de l'argent de poche. Cette observation quotidienne est devenue courante ,notamment dans la capitale et les grandes villes du pays. Les SDF aussi sont de plus en plus nombreux et sont visibles.
Cette visibilité de la «misère sociale», exceptionnelle durant le mois de Ramadhan, veut dire simplement que la misère se cache durant le reste de l’année. Elle se fait invisible parce que la charité aussi se fait discrète...
- Durant ce mois sacré, le ministère de la Solidarité annonce, avec un grand matraquage médiatique, sa solidarité avec les pauvres. Des milliards de centimes sont alors alloués pour atténuer les lourdes charges des familles infortunées. Pourquoi l’aide se manifeste-t-elle uniquement en ce mois ?
C’est devenu un rituel actuellement en Algérie. Le spectacle de la charité durant le mois de Ramadhan est censé être un signe fort de solidarité nationale. Curieux encore, la «société civile» aussi se prête à ce jeu avec l’organisation des «restos du cœur» fortement médiatisée aussi.
«On aime nos pauvres», semblent dire l’Etat et la société civile. Et s’il n’y en avait plus, on les aurait inventés ? La société est ainsi structurée avec des couches sociales très aisées et d’autres qui doivent peiner ou tendre la main pour avoir quelques miettes. Ce comportement social, typique dans les pays musulmans, ne signifie pas pour autant qu’il n’existe pas d’actes charitables durant l’année. Comme je l’ai déjà dit, les actions sont discrètes.
- Nos dirigeants réfutent le terme «pauvreté» et préfèrent utiliser le mot «démunis» ou «nécessiteux». Quelle est, à votre avis, la différence? Pourquoi les pouvoirs publics renient-ils cet état de fait, d’autant plus que lors des cérémonies occasionnelles, ils parlent tout simplement d’éradication de la pauvreté ?
Lorsque les décideurs parlent d’éradication de la pauvreté, je présume qu’ils empruntent la définition onusienne de la «pauvreté absolue», c'est-à-dire des personnes qui ne disposent pas du minimum de calories nécessaires pour la survie quotidienne. Ce type de pauvreté, proche de la famine, n’est pas visible dans les grandes villes – ce qui ne veut pas dire qu’elle n’existe pas.
Les notions de «démunis» ou de «nécessiteux» sont utilisées, à mon avis, pour préserver la dignité des personnes qui sont tombées dans l’indigence. Quelles que soient les notions utilisées pour «maquiller» la vitrine sociale algérienne, les faits sont là et se «donnent en spectacle» en présence de l’abondance et de la richesse manifestée par d’autres. C’est un jeu social très intéressant à observer : les couches sociales s’opposent parfois avec violence et en d’autres temps dans une sorte de «compromis», où l’un accepte ce que l’autre donne. Ce compromis devient, de temps en temps, aussi électrique notamment par les nouvelles formes de mendicité, plutôt agressives, qui imposent la charité.
- Beaucoup d’observateurs évoquent la mal répartition de la richesse en Algérie, ce qui implique que les riches s’enrichissent davantage et les pauvres s’appauvrissent de plus en plus. Que pensez-vous de ce constat ?
Les écarts de niveau de vie en Algérie sont observables du point de vue sociologique. L’ascenseur social connaît un fonctionnement particulier. On peut très vite grimper l’échelle sociale comme on peut chuter aussi rapidement au bas de l’échelle. La période actuelle est marquée effectivement par une recherche d’équilibre pour la stabilisation des couches sociales moyennes. Les revendications salariales récentes, pratiquement toutes satisfaites, attestent qu’il existe une répartition inéquitable de la richesse nationale. La société égalitaire relève d’un mythe ancien. L’équité sociale semble être un objectif acceptable, car l’injustice sociale entraîne souvent des explosions qui provoquent des fissures irréparables.

Nabila Amir

RAPPORT DE LA CNCPDH SUR LA CHERTÉ DE LA VIE

Une hausse salariale de 37,50%, une flambée des prix de 103,88%

La flambée du marché met les ménages algériens dans une situation de précarité inquiétante. Durant les six dernières années, si le SNMG a connu une hausse de 37,50%, les prix des produits de large consommation ont augmenté de 103,88%. Une situation intenable face à laquelle les pouvoirs publics se montrent impuissants…
Après un Ramadhan très coûteux, les ménages vont encore se saigner pour faire face aux dépenses de la fête de l’Aïd et de la rentrée scolaire. Les augmentations salariales décidées par le gouvernement durant les deux dernières années n’ont pas pour autant empêché l’érosion du pouvoir d’achat. Le dernier rapport de la Commission nationale consultative de promotion et de défense des droits de l’homme (CNCPDH) a fait état d’une enquête assez révélatrice sur le pouvoir d’achat des Algériens.
Ainsi, on remarque un déséquilibre notable entre l’évolution de l’indice des prix des produits de large consommation, comme la semoule, l’huile, le sucre, les légumes secs et le lait, par rapport aux augmentations salariales. Pour preuve, entre 2004 et 2011, le salaire minimum garanti des Algériens a augmenté de 37,50%, en parallèle, les prix de produits de large consommation ont connu une hausse de 103,88%.
Les détails des chiffres laissent perplexe. En six ans, le prix du sucre a connu une hausse de 133,33%, ceux de l’huile 136%, des pois chiche, lentilles et haricots, 173,68% et celui du riz 57,89%. Une vraie course dans laquelle les petites et moyennes bourses n’ont aucune chance de gagner. Pour la commission, les augmentations salariales n’ont malheureusement aucun effet sur le pouvoir d’achat des Algériens en raison de l’évolution croissante des produits de première nécessité. «Une situation qui a conduit à la malvie et surtout engendré des privations et des frustrations dans beaucoup de ménages à faible revenu.» Pour y faire face, elle a recommandé l’indexation des revenus en fonction de l’augmentation de l’indice des prix, ainsi que la création de l’Agence nationale de sécurité alimentaire à même d’assurer la veille et l’alerte sur le stock de sécurité en denrées alimentaires stratégiques, les prix au niveau national et international, la qualité des produits agroalimentaires importés…

En attendant, les ménages subissent malgré les lourdes retombées d’un marché qui n’obéit à aucune logique. Il y a une année, dans une enquête sur la cherté de la vie, l’UGTA a affirmé que pour vivre à l’abri du besoin, une famille de six personnes, dont quatre enfants, devrait avoir un salaire compris entre 40 000 à 50 000 DA. Cela sans prendre en compte les frais scolaires, des soins médicaux et de transport qui souvent dégrèvent lourdement le budget familial. Des frais qui dans la majorité des cas sont assumés grâce à la débrouillardise des membres de la famille ou à l’emprunt. Déjà lourdement affectés par les dépenses du mois de Ramadhan, les ménages s’apprêtent à racler leurs comptes financiers pour faire face aux dépenses de l’Aïd et de la rentrée scolaire.
En face, et en l’absence de tout contrôle du marché, les barons du commerce imposent leur loi en augmentant de manière irrationnelle les prix. Les longues files d’attente des citoyens pour obtenir le couffin du Ramadhan ou pour s’attabler aux restaurants de la Rahma, dans toutes les villes du pays, y compris les grands centres urbains, sont révélateurs d’une paupérisation qui avance à pas de géant. Raison pour laquelle, l’UGTA et le Parti des travailleurs emboîtent le pas à la commission de Farouk Ksentini, pour réclamer une hausse du SNMG, et son indexation sur les prix des produits de large consommation.

Salima Tlemçani

Oran : Les démunis au centre comme à la périphérie

Pour le commun des mortels, la seule évocation du nom de la capitale de l’Ouest, Oran, suscite inconsciemment le sempiternel refrain de : «Wahran El Bahia lil wanhar zahia».
Cependant, la réalité est tout autre. Des populations entières vivent dans la pauvreté au centre comme à la périphérie. La misère semble en outre former un chapelet à la périphérie de la ville à l’exemple du Douar Bouakeul, Douar Louz, Douar Bentazi, Douar Ranka, Douar Tiartia, El Hassi, Coca, Derb, Chteibo, etc.
A quelques encablures d’Oran, sur la RN4, caché par une succession de showrooms de constructeurs automobiles, se trouve le quartier populeux de Chteibo (Haï Nedjma, administrativement parlant). Un bourg sorti de nulle part durant les années 1980 pour grossir démesurément et atteindre aujourd’hui des proportions alarmantes. «Ici, nous confiera Kouider, la trentaine à peine entamée, c’est le royaume de la débrouille car les notions d’une vie décente n’ont aucun sens. Nous vivons illicitement dans des baraques sans aucune commodité depuis plus de vingt ans. Nous sommes les laissés-pour-compte de l’Algérie moderne aux portes d’Oran».
En effet, Chteïbo est confrontée aujourd’hui à d’inextricables problèmes liés à son développement. Un élu local, de la commune de Sidi Chami nous dira : «Cette circonscription administrative est passée de 500 habitants en 1985 à 50 000 habitants en 1990 pour avoisiner les 100 000 habitants aujourd’hui.
Pour beaucoup d’entre-eux, ils ont fui le chômage, la misère, l’insécurité et le désespoir. En un mot, le mal-vivre. Cet état de fait génère d’immenses demandes à satisfaire. La localité n’est toujours pas pourvue d’un réseau d’assainissement, ni d’eau potable, encore moins de viabilisation». L’atmosphère est franchement par endroits asphyxiante à cause des odeurs pestilentielles que dégagent certaines fosses septiques. Le seul moyen de subsister à ses besoins reste incontestablement le quartier de la brocante et de la ferraille, deux secteurs pourvoyeurs de main-d’œuvre. Malheureusement, si certains sont parvenus, tant bien que mal, à tenir le coup, rares sont ceux qui auront vraiment réussi à s’imposer dans cette jungle. L’indice le plus révélateur de la dégradation du niveau de vie et de la pauvreté est palpable à la décharge d’El Kerma ou de très nombreux pères de familles, la mort dans l’âme, luttent pour subvenir dignement aux besoins des leurs.
En effet, le nombre de chiffonniers est impressionnant. Ils sont très jeunes, adolescents, adultes ou même assez âgés ; des hommes mais aussi parfois des dames qui arrivent, chaque jour que Dieu fait, pour faire dans la récup. Le quartier d’El Hassi, communément appelé Haï Bouamama, à la sortie ouest d’Oran est une autre aberration, une plaie béante dans le mur de la cohésion sociale. En effet, ce quartier a été érigé, au mépris de la loi sur des pans entiers de la forêt arrachés en toute impunité pour ériger des baraques, dans un premier temps pour ensuite passer carrément à la construction en dur pour créer un véritable bidonville. Un élu local reconnaissait que «le secteur urbain Bouamama enregistre une prolifération inquiétante des constructions illicites, notamment aux quartiers ’’Coca’’ et ’’le Rocher’’».
A Arzew, même constat, il y a quelques semaines, une jeune maman meurt calcinée avec ses deux enfants dans sa baraque au bidonville de Oued El Mahgoun, mitoyen de la cité Ahmed Zabana. Là aussi, dans le poumon économique du pays, les signes de la misère et de la pauvreté sont relégués à la périphérie de la ville. Mais il suffit d’un tour au centre ville pour se rendre compte du nombre de personnes, tous âges confondus, qui font de la manche leur unique moyen de subsistance qui puisse leur permettre de s’accrocher à la vie tout simplement.
Après une dizaine de jours de jeûne, c’est surtout la cohorte de mendiants : femmes, hommes, enfants où même vieux installés aux abords des boulangeries, des marchés, boucheries, superettes et mosquées qui indisposent. Il est fort à parier que ces signes de précarité et autres excès ne risquent, malheureusement pas de s’estomper de sitôt.

Saou Boudjemâa


Tizi Ouzou : Des familles passent le mois de carême dans la privation

Le nombre de pauvres se multiplie avec la dégradation du pouvoir d’achat qui rend la vie de plusieurs habitants de la wilaya de Tizi Ouzou très difficile.
La misère sociale frappe de plein fouet des franges de la société. Seulement 17 469 familles démunies ont été recensées par les services de la Direction de l’action sociales (DAS), mais la réalité du terrain est tout autre, puisque parmi celles-ci ne figurent pas les foyers ayant un revenu quelle que soit sa nature. «On ne sait pas sur quels critères les autorités classent les familles démunies, alors que si l’on se réfère à la réalité, la quasi-totalité des citoyens de la région sont nécessiteux», estime un citoyen de la capitale du Djurdjura. Un autre ajoute : «Incroyable mais vrai. Un employé qui ne touche même pas le SMIG est considéré par l’Etat comme non nécessiteux alors qu’il ne peut même pas subvenir à ses besoins élémentaires. Les autorités se basent sur des chiffres que j’estime fallacieux.» Les avis des uns et des autres convergent tous à dire que les statistiques fournies par les services de la Direction de l’action sociale ne tiennent pas la route, étant donné que nombreux sont ceux qui sont oubliés, car ils perçoivent un semblant de salaire. Dans la ville de Tizi Ouzou, plusieurs familles vivent dans des situations des plus intenables sur le plan social.
Des citoyens continuent d’habiter dans des bidonvilles et des tentes de fortune. Des sinistrés du séisme de 2003 passent leur neuvième mois de carême dans des conditions de vie insupportables. Des familles entassées dans des centres où le minimum de conditions élémentaires pour une vie décente fait défaut. Elles se sentent marginalisées et victimes d’injustice. Elles vivent le calvaire. «C’est la misère qu’on vit depuis plus de 8 ans dans cet endroit dépourvu de toutes commodités. On est à 12 dans ce taudis de quelques mètres carrés», nous dira l’un des concernés. Même topo chez les autres ménages éparpillés au niveau de l’ancien parc de l’Eniem, à la sortie est de la ville, où le risque de maladies à transmission hydrique n’est pas à écarter, surtout en cette période de chaleur. Ce constat illustre parfaitement la galère de ces oubliés des pouvoirs publics. «On reçoit des tonnes de promesses toujours à la veille des élections, mais une fois les candidats sont installés dans leurs postes, ils ignorent carrément leurs engagements», fulmine un autre père de famille.
Cela sans parler des sans-abri, dont le nombre reste inconnu par les services concernés. En ce mois de carême, ces malheureux trouvent les restaurants du cœur comme seul lieu de convergence à l’heure du f’tour. Mais, force est de constater que le nombre de restaurants Errahma ouverts dans la ville des Genêts est loin de satisfaire toute la demande. Le Croissant-Rouge algérien (CRA), qui essaye de venir en aide aux nécessiteux durant ce mois de piété, ne peut, à lui seul, faire face au nombre de plus en plus croissant de démunies dans la wilaya de Tizi Ouzou. «On travaille avec les dons des bienfaiteurs pour essayer d’aider le maximum de nécessiteux. On distribue même des couffins alimentaires aux familles démunies. On va aussi organiser des circoncisions le 27e jour du Ramadhan pour enfants nécessiteux, comme on prévoit également des visites aux enfants malades dans les hôpitaux le jour de l’Aïd», nous dira Hakem Aït Hammadouche, président du CRA, comité de wilaya de Tizi Ouzou.
En dehors du chef-lieu de wilaya, la pauvreté bat son plein, malheureusement le citoyen vit dans l’indifférence des pouvoirs publics. L’exemple le plus édifiant nous vient des communes frappées par la misère et le dénuement où des habitants sont employés dans les services communaux dans le cadre de l’IAIG (Indemnité d’activité d’intérêt général) avec un «salaire» dérisoire. «Il n’y a pas d’autres postes d’emploi. L’IAIG est un luxe pour certains habitants de notre commune qui est frappée de plein fouet par un chômage galopant», fait remarquer un citoyen de la région d’Akerrou, une commune des plus pauvres de la wilaya de Tizi Ouzou. Dans cette localité, la pauvreté a atteint le paroxysme. Il n’y a ni agriculture ni industrie pouvant générer des postes d’emploi. Plusieurs communes de la wilaya de Tizi Ouzou vivent le même calvaire, à l’image d’Imsouhal, M’kira, Mizrana, Aït Yahia Moussa Sidi Naâmane, Boudjiamaâ et Makouda.


Hafid Azzouzi

Constantine : La pauvreté court les rues

Des pères de famille, le panier à la main, ne font qu’entrer et sortir du marché, sans acheter une once de denrée à Constantine.
Voici, à titre illustratif, quelques personnes dans ce cas, que nous avons rencontrées dans différents points de commerce de la ville. Fadila M., 36 ans, divorcée et mère de trois enfants (10 ans, 8 ans et 5 ans), n’arrive pas à joindre les deux bouts. Pour renflouer quelque peu son budget, en sus des 6000 DA/mois qu’elle gagne en faisant le ménage dans un cabinet d’avocat, elle confectionne du couscous et autres pâtes traditionnelles pour quelques femmes cadres.
Durant ce Ramadhan, elle a aussi appris à cuire des «dyouls», qu’elle écoule auprès de ses voisins. «Je ne me repose jamais, mes enfants ont besoin de tant de choses, et mes parents n’ont pas les moyens de m’aider ; mon ex-mari est lui-même au chômage», raconte-t-elle. Saïd B., jeune chômeur et père de triplés, habitant un bidonville, a honte d’accepter, en désespoir de cause, la charité. «Ce n’est pas une solution ; j’ai honte de vivre en parasite, j’ai frappé à toutes les portes, mais je n’ai pas trouvé de travail», dit-il. Bien d’autres, dont la dignité interdit de quémander, font durer un quart de poulet pendant des jours. «C’est juste pour donner un peu de saveur à la chorba», relève, presque en s’excusant, un quinquagénaire. En outre, on voit de plus en plus des enfants travailler. Certains vendent tout et n’importe quoi, d’autres tamisent du sable dans les chantiers de construction, d’autres encore servent dans les cafés... Nous avons vu des personnes, à l’allure propre et respectueuse, acheter des trognons de pomme à Souk El Asser (vieux marché de plein air au centre de la médina). 
Si l’on devait se fier aux chiffres officiels livrés par l’APC, 30 000 familles nécessiteuses ont été recensées dans la wilaya cette année ; dans la seule commune de Constantine, l’on parle en 2011, de 6000 familles vivant en dessous du seuil de pauvreté, avec une hausse de 700 par rapport à l’année dernière où l’on en comptait 5300. Dans la commune d’El Khroub, l’on enregistre 3000 familles dans le besoin. Sans parler de ces SDF et autres marginaux qui farfouillent dans les poubelles pour trouver pitance.
D’ailleurs, en fin de marché, beaucoup de personnes ramassent les restes pourris que les vendeurs de fruits et légumes laissent sur place. Ceci, n’en déplaise à certains officiels qui ont osé un jour proclamer qu’il n’y avait pas de pauvres en Algérie.
Des initiatives sont prises conjoncturellement, notamment en ce mois sacré, par des organismes étatiques (couffins du Ramadhan, restaurants Rahma), des particuliers et des associations caritatives, à l’exemple de Dar Ettadamoun Oua El Ihssen, de la mosquée Emir Abdelkader. Selon le président de cette dernière, M. Sifour, il a été distribué, depuis le 1er jour du mois du jeûne à ce mardi, 1290 couffins d’une valeur de 4 000 DA/unité. D’autre part, 300 chômeurs sont rémunérés de façon régulière, par la même association, de 7 000 à
15 000 DA /mois, en fonction du nombre de personnes par famille.

Farida Hamadou

Adrar : Des statistiques cache-misère

Officiellement, on recense 23 000 pauvres recensés sous la dénomination de «démunis». Ils sont pris en charge par l’Etat en matière de gratuité des soins, de remboursements de frais médicaux, de couffin du Ramadhan, de trousseaux scolaires…
Toutefois, ce taux est contesté par certaines associations et représentants de la société civile, qui l’estime largement inférieur à la réalité. A titre d’exemple, chez la DAS on préfère parler de démunis plutôt que de pauvres. Ces derniers sont ceux qui n’ont pas de revenus et qui ne bénéficient pas d’une couverture sociale (les non-assurés sociaux). Pour être intégré dans la liste de ces nécessiteux, il faut alors fournir un dossier justifiant essentiellement de la non-affiliation à l’une des institutions sociales comme la CNAS, Casnos, CNR ou la CNAC, ainsi que d’une attestation de non-travail... Pour l’ADS, la pauvreté dans une commune est caractérisée par 5 indices, à savoir le facteur éducation, santé, population, logement et richesse. Pour les collectivités locales, le pauvre c’est celui qui n’a ni toit ni revenus. Or, aujourd’hui dans notre société, on assiste à des cas de figure où nous avons des personnes qui possèdent un toit mais pas de revenus, d’autres qui ont un revenu mais se trouvent sans toit ; et enfin la dernière catégorie, celle qui a un toit et un revenu mais qui n’arrive pas à joindre les deux bouts face à la détérioration continue du pouvoir d’achat. La wilaya d’Adrar représente les 18% du territoire national avec une superficie de 427 968 km² où vivent 389 898 habitants, d’après le RGPH de 2008. Adrar, qui est le chef-lieu compte seulement 50 280 habitants.
Le reste vit dans les villes secondaires comme Timimoun, Aoulef et Reggane et l’autre majorité de la population est répartie à travers 294 ksours épars. Les locataires de ces vieilles forteresses en argile, datant des XIe et XIIIe siècles, ne vivent essentiellement que de leur terre. En effet, leur petite économie est basée sur l’exploitation de leurs petites parcelles situées au sein des palmeraies où ils produisent notamment des dattes, tomates, salades, haricots verts… quelques légumes potagers, voire des cacahuètes. Cependant, ils sont confrontés à un grand problème, celui de la distribution de leur production. Un phénomène qui les fait sombrer dans la pauvreté. Un handicap technique commercial accentué par la concurrence des mandataires venus du Nord, plus expérimentés, qui eux inondent le marché de légumes en quantité et en qualité. Ces infortunés se reversent alors dans l’informel où ils essayent tant bien que mal d’écouler leurs maigres marchandises, à même le sol, aux abords des souks et de ses artères adjacentes.
On peut estimer à 90% cette population oasienne qui ne vit que des bienfaits de sa terre. Le dixième est alors partagé entre les administrations publiques, les petits commerces et l’artisanat. Les fellahs ne possèdent aucune autre ressource financière pour faire face aux exigences du quotidien (paiement des factures d’électricité, transport, autres produits alimentaires...). Ils éprouvent d’énormes difficultés pour l’éducation, la scolarisation de leur progéniture et aussi l’entretien de leurs filles en l’âge de mariage.

A. A.

Tlemcen : 51 000 familles nécessiteuses

Un adage bien de chez nous dit à peu près ceci : «Celui qui veut se marier doit choisir sa future épouse au mois de Ramadhan». Comprenez que la véritable beauté d’une femme se remarque pendant le jeûne parce que celle-ci est dans son état naturel, sans fard ni fioritures.
Et la pauvreté d’une population se «met en valeur» en ce mois dit de foi et de piété. Selon une source de la Direction de l’action sociale (DAS), la wilaya de Tlemcen compte plus de 51 000 familles nécessiteuses. Un chiffre effarant qui dément toute conjecture et supputation laissant croire que cette région de l’extrême ouest du pays est privilégiée et sa population mieux lotie que celles autres du territoire national En réalité, à l’heure actuelle et tant que durera l’événement «Tlemcen, capitale de la culture islamique», les citoyens indigents sont plus gavés de musique que de nourriture. Mais proportionnellement parlant, sommes-nous tentés de dire, sur près de 1 200 000 habitants, on ne peut pas avancer que les 51 000 âmes «indigènes» dispersées sur les 53 communes soient intéressées par toutes ces délégations nationales et étrangères qui «égayent» les soirées de la cité des Zianides.
Officiellement et pour «assurer» un Ramadhan décent à ces familles que la nature et la politique sociale algérienne n’ont pas gâtées, la Croissant-Rouge algérien a mis à leur disposition 7 restaurants où l’on y mange sur place : des repas chauds et complets, viande comprise. Cet organisme, qui a prévu des couffins également, et pour préserver la dignité de ces familles, a décidé de les servir à domicile. Pourtant, combien de familles dignes, qui rompent le jeûne avec le strict minimum (eau, pain et café) s’abstiennent de se réfugier dans ces cantines de circonstance.
Difficile de le dire. Mais, un simple tour dans les marchés indique le nombre non recensé des pères de famille qui cherchent à apitoyer les plus argentés, les yeux plus ronds que la panse. «Bien que mes enfants ne mangent pas à leur faim, je n’oserai jamais demander la charité en allant m’inscrire au Croissant-Rouge. Mon orgueil ne me le permet pas. Des voisins qui savent ce que j’endure ont toujours une pensée pour moi et ma nombreuse famille», confie Slimane, la soixantaine, chômeur. Une veuve dont l’âge oscille entre cinquante et cinquante cinq ans est en colère : «Sur quels critères toutes ces bonnes âmes ont inscrit les familles nécessiteuses ? Moi, par exemple, je n’ai droit ni aux repas chauds ni au couffin. J’ai été exclue sous prétexte que j’ai un enfant de 22 ans.
Mais mon fils ne travaille pas ; que faire ?» Difficile de faire une enquête sur cette frange de la société. C’est presque de l’inquisition : «Je témoignerai de ma misère et alors ? Est-ce que cela me garantira un repas décent pour demain», s’énerve Rabah. «Quand on voit que des milliards vont dans des spectacles qui ne profitent qu’à une partie de la wilaya, l’on se demande si les responsables ont une conscience. Et puis, pourquoi penser aux pauvres uniquement au mois de Ramadhan ? Cela veut dire qu’on peut crever onze mois». Mendier aux portes des mosquées devient un métier, mais le nombre de ceux qui font la manche en cette période de clémence montre à quel point des familles franchissent le pas par nécessité.

Chahredine Berriah

Sidi Bel Abbès : Des pans entiers de la société fragilisés

Quelque 47 000 nécessiteux sont concernés par le couffin du Ramadhan et les opérations de solidarité durant ce mois de jeûne à Sidi Bel Abbès, selon la Direction de l’action sociale (DAS).
Le dispositif de solidarité comprend également la distribution de repas chauds au niveau de huit restaurants dits de la «rahma». Au total, l’opération de solidarité coûtera la somme de 70 millions de dinars, cette année à Sidi Bel Abbès contre 53 millions en 2010. Comptant près de 700 000 habitants, dont presque la moitié se concentre au chef-lieu de la wilaya, Sidi Bel Abbès a vu le nombre de démunis s’accroître ces dernières années. Parmi eux, figurent, en première ligne, des chefs de famille sans emploi bénéficiant de l’Indemnité d’activité d’intérêt général (IAIG), des handicapés et des personnes âgées. L’année passée, on rea censé à la même période moins de 30 000 nécessiteux à travers les 52 communes de la wilaya. Cette évolution significative est particulièrement révélatrice de la misère sociale qui frappe des pans entiers de la société. Pour la seule ville de Sidi Bel Abbès, le nombre de démunis a presque quadruplé en l’espace d’une année, passant de 650 en 2010 à 2 400 en ce Ramadhan 2011, selon des élus locaux.
Si pour les petites et moyennes bourses, gérer son budget est un vrai problème durant ce mois sacré, pour les personnes sans ressources, c’est carrément la galère. Pour s’en rendre compte, il suffit d’une petite virée dans les marchés de la ville. Que ce soit au marché des fruits et légumes d’El Graba, celui du centre-ville ou à Souk Ellil, les plus pauvres se débrouillent comme ils peuvent pour subvenir aux besoins vitaux de la famille. Ils passent le plus clair de leur journée à récupérer des légumes que personne ne veut acheter. Parmi eux, beaucoup n’ont pas eu le «privilège» de figurer sur les listes des bénéficiaires des colis alimentaires distribués par la commune. D’autres vont plus loin, n’éprouvant plus aucune gêne à fouiller les sacs à ordures, abandonnés ici et là, sous le regard indifférent des passants. «En fin de journée, des contingents de démunis s’échinent à fouiller dans les poubelles pour trouver de quoi préparer le repas de rupture du jeûne», confie Djillali, un habitué du marché d’El Graba. Selon lui, la récupération de denrées altérées ou en voie de péremption est l’ ultime moyen pour certains citoyens écrasés par la misère pour assurer leur pitance journalière.

La mendicité s’érige en métier

Au milieu de ces laissés-pour-compte, des dizaines de mendiants, venus de villes voisines, parfois de wilayas lointaines, marquent leur présence aux quatre coins de la ville. Au carrefour des Quatre horloges, près des boulangeries, mosquées, banques et agences postales, leur nombre s’accroît sensiblement en ce mois sacré, synonyme de charité et de compassion. Cette autre catégorie de démunis, ou prétendue comme tels, constituée en majorité de femmes, souvent très jeunes, se «déploie» dans les principales artères du chef-lieu de la wilaya juste après la rupture du jeûne. Adossées au mur ou assises à même le sol, elles se lancent dans une longue litanie à faire fondre les cœurs. Encouragées par la générosité des jeûneurs durant le mois de Ramadhan, certaines n’hésitent pas à utiliser enfants en bas âge pour apitoyer les passants. «Elles font de la mendicité un métier lucratif, contrairement à ceux qui sont vraiment dans le besoin et qui n’ont d’autre alternative que de tendre la main pour ne pas crever de faim», fait remarquer Merouane, la trentaine, serveur dans une crémerie qui, selon lui, il existe deux catégories de mendiants : les occasionnels et les professionnels. «Vrais ou faux, les mendiants reflètent parfaitement la misère sociale que révèle au grand jour le mois de carême», dit-il.
Mammeri Abdelkrim

Ces Algériens qui se nourrissent des poubelles

Les déclarations du gouvernement sur la «quasi-inexistence de pauvreté dans notre pays» sont contredites par une réalité perceptible et exaspérante.
Le chômage a ruiné une grande partie des foyers algériens. Faute de pouvoir subvenir aux besoins de leurs familles, les parents finissent par rompre définitivement ou momentanément. Sid Ali, la quarantaine, est sans emploi. Il est contraint de vivre une vie conjugale à distance car il n’a pas les moyens de payer un loyer. Lui et sa femme habitent chacun chez ses parents et ne se voient que durant la journée. L’épouse garde les deux enfants. Pire, la cherté de la vie et le pouvoir d’achat dégradé ont compliqué la vie même aux travailleurs. Toutes les contestations sociales depuis plusieurs mois ont posé le problème des «salaires de misère». La paie, en effet, ne couvre pas les frais d’un mois pour plusieurs salariés, d’où la débrouillardise de ces gens modestes pour gagner quelques sous en plus. Les alternatives qui se présentent sont souvent le commerce informel et les taxis clandestins.
Par ailleurs, durant toute l’année, des «chercheurs d’or» dévalisent les poubelles de la capitale, juste avant le passage des camions de ramassage d’ordures. Les agents de Netcom sont aussi concernés par la fouille des poubelles en cherchant des objets intéressants, jetés par les «riches». «Nous fouillons les sacs-poubelles pour récupérer le pain. En même temps, on récupère quelques objets et vêtements encore utilisables», indique un agent de nettoyage au niveau de la rue Larbi Ben M’hidi. Pour certains «clochards», une poubelle est tout simplement la seule source de nourriture. L’un de ces pauvres humains, portant un gros sac sur le dos, est un habitué de la rue Tanger et de ses poubelles. Il se ravitaille en pain, en lait et en fruits, sans se soucier des ravages que pourraient engendrer ces poisons sur sa santé.
En ce mois de Ramadhan, à l’heure du f’tour, les restaurants Rahma sont envahis par les SDF, les mendiants, mais aussi par des familles démunies. Le couffin de Ramadhan n’a pas été distribué pour tous les pauvres et si c’est le cas il n’est pas suffisant. Les nuits ramadhanesques à Alger sont animées par plusieurs activités culturelles et sportives. Le Tout-Alger est dehors. Cela est vu comme une occasion parfaite par les dizaines de mendiants, déployés sur toutes les ruelles d’Alger. A titre d’exemple, la rue Didouche Mourad contient une vingtaine de mendiants. Ces demandeurs de charité restent toute la nuit à terre, en suppliant les passants, pas tous compréhensifs. «Vous avez de l’argent plus que moi», disent-ils parfois. Majoritairement des femmes, les mendiants de Ramadhan ne le sont pas tous durant le reste de l’année. Les difficultés sociales et le déficit financier de certaines familles devant l’hyperconsommation et la mercuriale de ce mois de «rahma» poussent certaines femmes à la rue.
Quelques minutes après le rupture du jeûne, à la place Audin, une mère est assise à même le sol à côté de ses trois enfants, endormis sur du carton. «Mes frères, aidez-moi. Je n’ai pas de quoi les nourrir», crie-t-elle. Il y en a dans cet état presque dix mendiantes, ce soir-là. Au niveau du quartier populaire de l’ex-Meissonier, c’est une autre sorte de mendicité qui prolifère. Des femmes et des hommes, accompagnés d’enfants handicapés, demandent des aides financières pour soigner et nourrir leur progéniture invalide. Tunique noire et voile mal ajusté, une femme implore les passants, finissant laborieusement les courses, d’aider son fils qui a perdu les deux jambes à la naissance. «Si ça continue comme ça, tout le monde se convertira à la mendicité. Bien que moi-même et mon mari travaillons durement, nous avons du mal à finir le mois sans endettements», lâche Malika, jeune fonctionnaire dans une entreprise publique. Et dire que certains ministres continuent à affirmer qu’il n’y a pas de pauvres en Algérie ! Quelle Algérie ?
http://www.algeria-watch.org/fr/article/eco/soc/misere_sociale.htm


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