Le profil de Chérif et Saïd Kouachi, les deux auteurs présumés de l'attaque de Charlie Hebdo, tués dans un assaut du GIGN après deux jours de cavale, se précise peu à peu.
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- L'enfance
Saïd et Chérif Kouachi, âgés de 34 ans et 32 ans et de nationalité française, sont tous deux nés dans le 10e arrondissement de Paris, respectivement le 7 septembre 1980 et le 29 novembre 1982. Aînés d'une fratrie de quatre, dont un autre garçon et une petite sœur, ils se retrouvent très jeunes orphelins de leurs parents immigrés d'Algérie. Adolescents, ils sont placés par les services sociaux dans le foyer d'un établissement corrézien, à Treignac, de 1994 à 2000, selon La Montagne. Saïd Kouachi passe un CAP et un BEPC d'hôtellerie là-bas.
Chérif passe ensuite un brevet d'éducateur sportif puis il gagne Paris. Là, il s'installe avec son frère Saïd chez un Français converti, dans le 19earrondissement de la capitale, et travaille comme livreur de pizzas.
- Petite délinquance et radicalisation
Chérif Kouachi est à l'époque considéré comme violent et impulsif. Ses camarades lui attribuent déjà des projets d'attentat terroriste contre des commerces juifs à Paris. Avec ses copains, il commet des larcins dans le quartier des Buttes-Chaumont, dans le 19e : vols, drogue, petits trafics.
Son attrait pour le « djihad » apparaît en 2003, lorsqu'il commence à fréquenter la mosquée Adda'wa, rue de Tanger, près des métros Stalingrad et Riquet. Peu à peu, ce « fan de rap et de jolies filles », selon un reportage de « Pièces à convictions » diffusé en 2005, se fait endoctriner. Il rencontre à la mosquée Farid Benyettou, qui n'a qu'un an de plus mais qui se vante d'une connaissance approfondie de l'islam et joue les prédicateurs à la sortie de la prière.
Avec lui, les jeunes gens suivent des cours de religion, à leur domicile et dans un foyer du quartier. Leur mode de vie change radicalement. Ils arrêtent de fumer, cessent les trafics, visionnent des vidéossur le djihad. Les images de l'intervention américaine et britannique, en mars 2003, en Irak, les fascinent.
Lire le récit : La fratrie Kouachi, de la petite délinquance au djihad
- La filière des Buttes-Chaumont
Une dizaine de jeunes âgés de moins de 25 ans, sous l'autorité de « l'émir » Farid Benyettou, se regroupent dans ce qui s'appellera la filière des Buttes-Chaumont. Leur but : envoyer des djihadistes rejoindre en Irak les rangs de la branche irakienne d'Al-Qaida, dirigée à l'époque par Abou Moussab Al-Zarqaoui. Chérif Kouachi se fait alors appeler « Abou Issen ».
Il s'entraîne tous les jours avec d'autres en courant dans le parc des Buttes-Chaumont, tandis qu'un homme rencontré à la mosquée leur dispense des rudiments sur le maniement des kalachnikovs. Certains membres du groupe des Buttes-Chaumont rejoignent l'Irak entre 2003 et 2005. Chérif Kouachi, lui, ne s'y rendra pas : il est interpellé, à Paris, en janvier 2005 alors qu'il comptait s'envoler pour la Syrie, porte d'entrée pour l'Irak.
- Emprisonnement et nouvelle radicalisation
Chérif Kouachi est incarcéré entre janvier 2005 et octobre 2006, à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne). En détention, sa pratique rigoriste de l'islam est remarquée. Il fait la connaissance de celui qui deviendra son nouveau mentor : Djamel Beghal, qui se fait appeler Abou Hamza. Ce homme, qui purge une peine de dix ans de prison pour un projetd’attentat fomenté, en 2001, contre l’ambassade des Etats-Unis à Paris, a reconnu avoir suivi « une formation paramilitaire » dans un camp d'entraînement afghan financé par Oussama Ben Laden entre 2000 et 2001. A sa sortie de prison, il conserve des liens avec certains de ses anciens complices de la filière des Buttes-Chaumont.
Lire aussi : Chérif Kouachi, sous l’emprise d’un mouvement sectaire salafiste
- Le procès des Buttes-Chaumont
Le procès de ce groupuscule a lieu en mars 2008 devant le tribunal correctionnel de Paris. Parmi les sept prévenus : Thamer Bouchnak, Mohamed El-Ayouni, Boubakeur El-Hakim et Chérif Kouachi. A l'époque, les jeunes gens apparaissent à la barre comme un petit groupe amateur. Une sorte de bande de « pieds nickelés » qui comparaît libre, à l'exception de l'un d'entre eux.
« Plus le départ [en Irak] approchait, explique alors Chérif Kouachi, plus je voulais revenir en arrière. Mais si je me dégonflais, je risquais de passer pour un lâche. » Il est condamné le 14 mai 2008 à trois ans de prison dont dix-huit mois avec sursis. Il recouvre la liberté immédiatement, sa peine étant couverte par la détention provisoire. Saïd Kouachi, lui, fera soixante-douze heures de garde à vue dans ce dossier, avant d'être lavé de tout soupçon.
En apparence, Chérif Kouachi se range : il se marie le 1er mars 2008, s'installe dans un studio à Genevilliers (Hauts-de-Seine), travaille en intérim en région parisienne, notamment à la poissonnerie du magasin Leclerc de Conflans-Sainte-Honorine(Yvelines). En novembre, il entreprend, avec sa jeune épouse, un pèlerinage à La Mecque, par le biais d'un voyagiste turque. Sa femme Izzana commence à porter le niqab et abandonne son travail d'animatrice en crèche.
- Les auditions de la police antiterroriste
En 2010, tandis que son frère Saïd reste dans l'ombre, le cadet des Kouachi, alors âgé de 27 ans, ressurgit dans le collimateur de la justiceantiterroriste. En avril, Chérif Kouachi se rend à plusieurs reprises dans le Cantal, à Murat, pour y rencontrer son mentor Djamel Beghal, qui y est assigné à résidence. Lors d'une surveillance de ce séjour, les enquêteurs de la sous-direction antiterroriste (SDAT) constatent que Chérif Kouachi et Djamel Beghal font de longues marches en compagnie de deux hommes : le premier a été condamné pour sa participation à une filière de djihadistes en Afghanistan, le second appartient au Groupe salafiste pour la prédication et le combat algérien.
En mai de la même année, Chérif Kouachi est soupçonné par la SDAT d'avoir participé à la préparation de l’évasion d’une autre figure de l’islam radical, Smaïn Ait Ali Belkacem. Ce dernier a été condamné, en novembre 2002, à une peine de prison à perpétuité pour sa participation à l’attentat de la station RER Musée-d’Orsay en octobre 1995. Chérif Kouachi est placé en garde à vue entre le 18 et le 21 mai et auditionné à onze reprises.
Selon les procès-verbaux consultés par Le Monde, il adopte un mutisme et une détermination qui tranchent radicalement avec le profil d'amateur qu'il avait donné lors du procès de la filière des Buttes-Chaumont. Faute de preuves suffisantes, le parquet de Paris requiert un non-lieu le 26 juillet 2013. On n'entend plus parler de lui jusqu'à la tuerie de Charlie Hebdo, mercredi 7 janvier.
Lire notre enquête (édition abonnés) : Les voyages des frères Kouachi
Dans ce dossier, lors d'une surveillance le 12 mars 2010, les policiers voient apparaître l'aîné des Kouachi, Saïd, mais là aussi, sans plus d'éléments le concernant, les policiers ne poursuivent pas les investigations à son encontre.
- Entraînés au Yémen ?
L'un des frères Kouachi (ou les deux) s'est rendu au Yémen en 2011, et pourrait y avoir été formé militairement. Le procureur de Paris, François Molins, a confirmé vendredi que Chérif Kouachi avait fait ce voyage. Ce dernier l'avait affirmé à BFM-TV, et se revendiquait d'Al-Qaida dans la péninsule Arabique (AQPA), la filiale de l'organisation terroriste dans ce pays.
Cependant, c'est Saïd Kouachi, et lui seul, qui est mentionné comme ayant voyagé dans le pays cette année-là, dans des éléments transmis par les autorités yéménites aux services de sécurité américains, dont Le Monde a eu connaissance par un diplomate français. L'homme serait, notamment, passé par la petite ville de Shihr, port de pêche ouvert sur la mer d'Arabie et réputé pour ses centres d'enseignement du salafisme, un courant sunnite qui prône un retour à l'islam des origines. La ville, qui attire des étrangers du monde entier, hébergerait de 200 à 300 Français, essentiellement des nouveaux convertis.
Les autorités yéménites, qui ont ouvert une enquête, suspectent également Saïd d'avoir combattu pour AQPA dans la province d'Abyan, dans le sud du pays, en 2011, a déclaré un responsable des services de sécurité yéménites à l'agence Associated Press (AP), vendredi. Une note des services de renseignement américains décrite à Associated Press estime également que Saïd Kouachi avait été entraîné en vue de réaliser une attaque en France.
Lire aussi : La piste d'Al-Qaida au Yémen
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