Search This Blog

Friday 21 January 2011

Le mal et la souffrance


Résumé de mon intervention du Samedi 22 janvier, dont vous trouverez les renseignements ici :http://www.facebook.com/event.php?eid=157349967648299 ,
à L'Institut de Science et de Théologie des Religions (ISTR)

Le Mal et la souffrance

« Si Dieu existe j'espère qu'il a une bonne excuse »
Woody Alen

Si les religions ont tenté de répondre à la protestation du mal par l'annonce du « Royaume de Dieu », le Judaïsme pour sa part ne saurait se contenter d'un tel argument, car s'il y a lieu d'interroger Dieu sur la souffrance humaine, c'est de l'intérieur de la foi que la question se pose et jamais de l'extérieur.

C’est ainsi que pour la Tradition Juive ce sont d’abord les plus grands croyants qui ont protesté contre Dieu, allant d’Abraham avec son fameux « le juge de toute la terre n’appliquera-t-il pas la justice » (Genèse 18, 25) en passant par Moïse qui dit à Dieu après avoir été mandaté pour faire sortir d’Israël d’Égypte : « Pourquoi fais-tu autant de mal à ce  peuple ? Depuis que je me suis présenté à Pharaon pour parler en ton nom, le sort de ce peuple a empiré alors même que tu n’a toujours pas sauvé ton peuple » (Exode 5, 22-23), sans oublié Job, dont l’ensemble de l’œuvre constitue un plaidoyer qui légitime l’homme dans sa question à l’encontre de Dieu. En ce sens pour le Judaïsme si Dieu est « juge de toute la terre » l’homme aussi peut à son tour se placer en « juge » de Dieu. C’est pourquoi cette question n’a de pertinence que si elle est posée de l’intérieure même de la foi, un athée ne peut que se contenter de soustraire Dieu de l’Histoire et par conséquent de toute responsabilité face aux malheurs des hommes pour justifier son athéisme, tandis que le croyant ne pourrait se risquer à une telle proposition que s'il prétendait exclure Dieu de l'histoire, ce qui finalement reviendrait au même.

Car si je suis croyant je ne peux me satisfaire d'un Dieu absent dans l'histoire et encore moins d'un Dieu uniquement transcendant qui n'a d'autre qualité pour affirmer Sa Grandeur que celle de sa toute puissance ; laquelle s’exprime dans les Hauteur, à savoir dans un royaume qui échappe entièrement à la réalité des homme. C'est en ce sens que Hans Jonas, dans « Le concept de Dieu après Auschwitz », écrit : « Si le concept de la toute puissance de Dieu ne peut coexister avec celui de sa « toute-bonté », après Auschwitz, on est obligé, pour ne pas l’abandonner, de le repenser à partir d’un autre regard.  Si Dieu ne peut tout régler face à la souffrance de l’homme, c’est parce qu’Il est lui aussi souffrant. »

Le Talmud (Berachot 9, b)[1] voit dans la réponse de Dieu à Moïse lorsqu’il l’interrogea devant le buisson ardent, après avoir été mandaté par Dieu d’être le libérateur d’Israël : « S’ils me disent : quel est son nom ?, que leur dirai-je ? » (Ex. 3, 13) – « Je Suis celui qui est » – l’affirmation de cette relation intime. « Par ces mots, le Saint, béni soit-Il, dit à Moïse : “Va dire à Israël que j’étais avec vous pendant cet esclavage.” “Avec lui, je suis dans la souffrance” (Ps 91, 15) ». Ainsi Dieu n’avait pas oublié le peuple d’Israël, il était là présent. Cette humiliation que subissait Israël était aussi la sienne. « Toute leur souffrance est une pour lui » (Isaïe 63, 9)

Ce principe du Dieu souffrant est présent dans les sources les plus représentatives du Judaïsme, et que, en effet, si le seul Dieu pour lequel il vaut la peine d'y croire est immanent, à savoir qu'il est indéniablement présent dans l'Histoire, c'est que forcément cette immanence n'est pas là pour régler la question du mal mais pour être présent avec l'homme qui souffre, au point de souffrir avec lui, à l'instar des propos du Talmud (Méguila 31, a) : « C'est là où tu trouves la grandeur de Dieu, que tu trouves son humilité ».

Par conséquent il est clair que pour le Judaïsme la théologie de la souffrance n’est pas celle de la réponse, qui, quoi qu’on dise viendrait après coup justifier l’inacceptable, mais celle de la question, et c’est justement de l’intérieur de la foi que cette question résonne en nous. C’est aussi ce que dit Élie Wiesel, reprenant un échange qu’il a eu avec le fameux Rabbi de Loubavitch, M.M Schneersohn (1902-1994), pour justifier sa position en rapport à Dieu après Auschwitz, que jamais il ne s’est placé à l’extérieur de la foi dans son cri de révolte contre Dieu face aux événements de l’Histoire.

Je finirais par ce témoignage, je devais avoir moins de quinze ans, je discutais avec un rescapé des camps de la mort qui me racontais avec ses mots ce qu’il avait vécu, à un moment il me dit « comment croire en Dieu après tout ça ? Aucun Dieu n’aurait laissé faire ça ? » Je savais alors en mon fort intérieur, du haut de mes quinze ans, qu’une telle interrogation venant d’un homme qui a vécu tant de chose, n’a pas à recevoir de leçon de quiconque, et que son cri de douleur doit pouvoir être entendu. Puis il me parla des Nazis de leur cruauté infâme, leur mépris pour tout ce qui porte le Nom d’Humanité et il me dit : « Seuls des gens démunies de foi sont capable d’une telle cruauté sans nom », c’est là que j’ai compris que la question de celui, qui pour manifester sa révolte croit devoir légitimement rejeter Dieu face à l’ignominie, n’est en réalité rien d’autre qu’un cri de douleur venant de la foi la plus intime et la plus intérieur de l’être.

Hervé élie Bokobza

Pour prolonger sur le sujet :
Émile Fackenheim « Présence de Dieu dans l’histoire » (Éd. Verdier, 1980).
Hans Jonas « Le concept de Dieu après Auschwitz » (Rivages – Poches 1994).


[1] Pour une étude plus complète cf. « Israël Palestine, la paix à la lumière de la Torah » (L’œuvre 2008) Parti I « Israël et l'identité juive ».


No comments:

Post a Comment