Algeria-Watch, 14 novembre 2010
Enlevés respectivement les 16 et 18 octobre 2010, Othmane Abdellahoum et Rachid Kebli, les deux dernières victimes de disparition forcée recensées en Algérie, restent à ce jour introuvables. Il n’y a aucun doute sur l’identité des auteurs de leur kidnapping : encore une fois, le mode opératoire habituel des agents de la police politique, le Département du renseignement et de la sécurité (DRS), permet de leur attribuer ces deux actions.16 octobre 2010, 19 heures, Aïn Al-Hadjel (wilaya de Msila) : plusieurs hommes armés arrêtent Othmane Abdellahoum, 32 ans, marié et père de deux enfants, à la sortie de son domicile, avant de l’emmener vers une destination inconnue. En février 2007, Othmane Abdellahoum avait déjà été enlevé par le DRS, détenu dans un lieu secret pendant deux semaines et torturé avant d’être présenté devant le parquet du tribunal de Msila, qui l’avait placé alors en détention provisoire. Déféré devant le tribunal de Msila, il avait été acquitté en novembre 2007 et libéré.
18 octobre 2010, 11 heures, Maghnia (wilaya de Tlemcen) : quatre individus en civil, sans un mot, ordonnent sous la menace de leurs armes à Rachid Kebli, un ouvrier de 30 ans arrêté sur son lieu de travail, de monter dans une voiture banalisée immatriculée à Alger (située à 600 kilomètres de là). Le 12 juin 2007, Rachid Kebli avait déjà été enlevé par le DRS, détenu dans un lieu secret pendant quatre mois et torturé avant d’être présenté devant le parquet du tribunal d’Alger, qui l’avait placé alors en détention provisoire. Acquitté par le tribunal criminel d’Alger le 21 mai 2008, il avait été maintenu illégalement en détention avant d’être finalement libéré en décembre 2008.
Dans les deux cas, c’est ensuite l’inconnu… ou plutôt la détention dans l’un des innombrables centres de détention secrète contrôlés par le DRS. Commence alors l’interminable quête des familles qui se rendent à la brigade de gendarmerie ou au commissariat local, puis entreprennent d’innombrables démarches au palais de justice, où même la plus haute autorité judiciaire, le procureur général, est bien incapable de donner des informations sur le lieu de détention de la victime.
Contrairement aux assertions répétées des autorités gouvernementales, les victimes de ces enlèvements par les services du DRS sont bel et bien transférées dans des centres secrets placés hors du contrôle de l’administration judiciaire censée les contrôler. En dépit des dénégations officielles, relayées par le président de l’Institution nationale des droits de l’homme (la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme), Me Farouk Ksentini, et par le chef de la mission permanente algérienne auprès de l’ONU, M. Driss Al-Jazaïri, force est de constater une nouvelle fois que les centres de détention secrète où des victimes de disparition sont torturées et détenues pour des périodes indéterminées existent toujours en Algérie.
Depuis les années 1990, les nombreux témoignages de personnes détenues au secret ont permis de répertorier des dizaines de centres contrôlés par le DRS, à tous les échelons de la hiérarchie, des antennes locales aux centres territoriaux de recherche et d’investigation (CTRI) dans chacune des six régions militaires, jusqu’au cœur de la « machine de mort » située à Alger, à Ben-Aknoun, le fameux « Centre Antar ». Les milliers de « disparus » des années 1990 sont passés en grand nombre par le labyrinthe de ces centres, où ils ont subi d’atroces tortures avant d’être assassinés.
Aujourd’hui, les victimes sont souvent enlevées directement par des agents du DRS du Centre Antar, où ils sont détenus dans des conditions inhumaines et soumis à des tortures. Ils réapparaissent en prison en tant qu’accusés de « soutien au terrorisme », sur la base d’aveux soutirés par la force. S’ils sont libérés, ils sont munis d’un document attestant une garde à vue légale de douze jours ou d’une détention administrative. Dans tous les cas, ils ont subi des menaces afin qu’ils ne témoignent pas des tortures subies.
Algeria-Watch dénonce une nouvelle fois ces graves violations des droits de l’homme de la part de l’État algérien, demande la libération immédiate de Othmane Abdellahoum et Rachid Kebli et appelle les instances internationales compétentes, en particulier le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires de l’ONU, à intervenir auprès de l’État algérien pour qu’il mette fin aux disparitions forcées à et aux détentions arbitraires dans des lieux secrets.
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