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Tuesday, 12 June 2012

Khadra: «Les Algériens ne croient plus en rien»

A quelques jours des élections législatives algériennes, le grand écrivain algérien Yasmina Khadra analyse les causes du désintérêt pour ce scrutin.

Des femmes marchent devant pancartes électorales à Alger le 19 avril 2012. Reuters/ Zohra Bensemra
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Mise à jour du 10 mai 2012: Les 21 millions d'électeurs algériens votent jeudi 10 mai pour élire la nouvelle Assemblée Nationale, après des réformes mises en oeuvre par le pouvoir pour parer à un Printemps arabe. Les deux enjeux de ce scrutin sont l'abstention et le score des islamistes.
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Slate Afrique - Les derniers événements au Sahel -enlèvements, montée de l'islamisme radical, conflits armés- vous donnent-ils le sentiment d’avoir été un peu visionnaire dans vos écrits?

Yasmina Khadra -  Je m'interdis de me croire investi de pouvoirs extralucides. Je ne suis qu'un romancier qui interroge son époque. Mes romans sont des arrêts sur image. Je prends un phénomène de société et je tente de le disséquer. Nous vivons une époque paradoxale, aussi fascinante que rebutante. Une paresse intellectuelle nous empêche de nous attarder sur les dysfonctionnements du monde. Nous nous contentons de prendre pour argent comptant ce que les médias nous balancent à la figure tous les jours, à grands coups de flashes assourdissants et de nouvelles consternantes alors qu'il nous faut impérativement réfléchir à tête reposée et faire montre d'un maximum de vigilance pour tenir face à l'adversité.
Slate Afrique - L’Algérie doit-elle intervenir pour pacifier le Sahel? 
Yasmina Khadra - L'Algérie fait ce qu'elle peut. La menace est en train de se déployer à ses frontières. Mais la charge est trop grande pour elle. Dans ce genre de situation, la bonne volonté relèverait du voeu pieux. Il s'agit de gros moyens technologiques, d'une mobilisation générale et d'une détermination inflexible.

Slate Afrique - Est-ce le rôle de l’occident de rétablir l’ordre dans la région?

Yasmina Khadra -
 L'occident est le seul responsable du fiasco de la guerre libyenne. Il a chassé le tyran, à lui maintenant de réparer les dégâts. La guerre n'est pas une mince affaire. Ceux qui ont pensé s'offrir un baroud d'honneur pour amuser la galerie doivent comprendre que l'horreur ne fait rire personne. Ils ont déréglé une machine, et ils doivent la réparer au plus vite avant que les choses ne se compliquent davantage.
Slate Afrique - Les législatives algériennes intéressent-elles les Algériens? 

Yasmina Khadra - Je suis rentré d'Algérie il y a une semaine. Les Algériens sont fatigués. Ils ne croient plus en rien. Les candidats aux législatives sont d'illustres inconnus. Leurs discours sont creux et ils n'ont pas plus de programmes que de crédibilité. Une vie politique, ça se construit au fil des années et des engagements, et ne relève aucunement de la prestidigitation.
Slate Afrique - Une victoire des islamistes est-elle possible, comme au Maroc et en Tunisie?

Yasmina Khadra - Tout est possible. De toutes les façons, les réseaux islamistes sont bien rodés et mieux organisés que les autres. Ils sont sur le terrain depuis des décennies et travaillent en profondeur et sans relâche. Ils squattent déjà les administrations et les secteurs névralgiques comme la presse, certains départements de la Télévision et un bon nombre de mouvements associatifs. La colère de la rue et les déceptions citoyennes engrossent leurs rangs. Et apparemment, nous n'avons pas retenu la leçon de la guerre intégriste qui a failli nous décimer.
Slate Afrique - Existe-t-il un péril islamiste au Maghreb?

Yasmina Khadra - Bien sûr. La pseudo-démocratie ne nous a porté que du vent, le vent funeste de la corruption, du népotisme, du trafic d'influence et des incertitudes. Un  gros travail sur la culture de la prédation et de la prévarication doit être engagé dans l'immédiat afin d'aider le citoyen à recouvrer ses esprits. Le déficit confiance a atteint les abysses du renoncement. Il existe encore des foyers de résistances, des franges sociales hostiles à l'obscurantisme et au totalitarisme idéologique, mais elles sont disloquées, poussées dans leurs derniers retranchements. Les bonnes volontés sont chahutées, découragées, et les forces vives de la nation s'épuisent d'expectative intenable et d'encanaillement.
Slate Afrique - Etes-vous d’accord avec ceux qui comparent l’Algérie à un îlot de stabilité, tant sur le plan économique que politique?

Yasmina Khadra - Quel est ce pays arabe qui a payé plus cher son droit au respect? Les Algériens ont été les premiers à se soulever. C'est un miracle s'ils demeurent encore debout après 50 ans de mensonges, de désillusions, d'incompétence, de médiocrité et d'injustice. Je ne veux pas que la rue bascule de nouveau dans la violence. Elle ne nous réussit pas, la violence. Nous sommes écartelés entre le dégoût et le déni de soi. C'est une situation étrange, insupportable, mais nous espérons éviter le cauchemar de la décennie noire dont les traumatismes nous hantent encore. Il faut que les gouvernants comprennent que le monde a changé, qu'une nation se doit de se renouveler et qu'il est temps de confier aux jeunes générations les rênes de leurs propres destins.
Propos recueillis par Pierre Cherruau et Nadéra Bouazza

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