Neuf mois après le discours de Bouteflika contre le «printemps arabe» le 15 avril dernier, le berceau est vide: rien n’est né, rien n’est fait, rien n’est livré. Bilan comptable.
Le bluff d’une nouvelle constitution
C’est ce qu’a promis Bouteflika lors de ce discours du 16 avril durant lequel il a tellement tremblé des mains et de la voix que les Algériens ont conclu à un adieu en différé. Bref, le même homme qui a amendé la constitution algérienne de 1996, il y a quatre ans, en 15 jours en augmentant les salaires des députés et des sénateurs, se réveille comme Ben Ali lors de son dernier discours: «Pas de présidence à vie!». Bouteflika revient sur ses pas, lui qui a fait disparaitre l’article 76 limitant à deux les mandats présidentiels, promet une nouvelle constitution, contre les mandats à vie, à la mode dans le monde arabe. Sauf que cette révision sera faite par un Parlement lui-même illégitime et enfant-né de la dernière fraude électorale en date, ou par un référendum dont on connait la tradition de peu d’honnêteté en Algérie. Slogan algérien: le peuple vote mais c’est le régime qui élit. La constitution algérienne change au grè des humeurs depuis l’indépendance en 1962. Neuf mois après le discours, on ne sait rien plus sur la prochaine loi fondamentale du pays. Personne n’en parle, pas même ses bonimenteurs.
La ruse de la commission
C’est la tradition des régimes arabes quand ils veulent louvoyer: créer une commission. En Syrie, l’humour populaire a même proposé la création d’une commission pour recenser les commissions créées. Pour le cas algérien, il existe un proverbe lorsque le joueur et l’arbitre sont une seule même personne: Hadj Moussa qui juge Moussa Hadj. Après le discours du 15 avril, Bouteflika installe sa commission des reformes. Elle sera présidée, le 02 mai 2011, par un conseiller à la présidence, ultra conservateur, et un ancien général assistant, un certain Mohammed Bensalah, un fidèle du président et du régime. D’ailleurs, Mohammed Bensalah était membre d’une autre commission de dialogue en … 1994, installée à l’époque par le même régime! Bref, la commission est boudée par l’opposition,moquée par la presse et courtisée par les opportunistes. Durant les audiences entamées le 02 mai 2011, elle recevra les organisations de masse, les hauts retraités, le syndicat étatique, les acteurs du faux multipartisme…etc. Le 21 juin 2011, elle clôt son rapport, le met sur papier, le remet à la Présidence et disparait dans la nature. Le but «international» est atteint: faire croire que des réformes sont en cours en Algérie. Le but national est aussi atteint: gagner du temps. A l’époque, Kadhafi donnait l’espoir de pouvoir stopper le vent du «printemps arabe» et décourager les ardeurs des révoltés.
Un fausse télécommande au peuple
L’Algérie est l’un des rares pays où la télévision est encore stalinienne: unique, sous monopole du régime, servant à la propagande et à «l’éducation du peuple». Le champ médiatique est interdit aux capitaux privés depuis l’indépendance. Du coup, la revendication de l’ouverture du champ audiovisuel est l’une des revendications les plus tenaces des Algériens. Le droit au zapping, entre des chaines algériennes. Le 16 avril, Bouteflika promet de rendre la télécommande au peuple. Quelques jours plus tard, la promesse est assortie de conditions: d’abord, pas de chaines privées mais des sociétés publiques ouvertes au privé. Ensuite, cela va se faire sur dossier et un cahier des charges et sur autorisation d’un haut conseil de l’audiovisuel. D’accord mais quand? Un jour. Puisque le Conseil n’a pas été installé. La loi sur l’audiovisuel est restée, une promesse. Depuis neuf mois, le ministre de la Communication multiplie les «analyses» sur la «sensibilité» du sujet, la spécifité du cas, la nécessité d’y aller en douceur, l’obligation de consulter, la vertu d’une ouverture graduelle. En vérité, depuis neuf mois, il n’y a rien eu. Le régime tient encore la télécommande, le peuple regarde.
Fausse levée d’état d’urgence
C’était l’une des premières mesures de l’après Ben Ali en… Algérie. L’état d’urgence est en effet un vieux mode de dictature imposé en Algérie depuis février 1992, date du putsch des généraux. Le prétexte a été celui de la lutte contre le terrorisme islamiste. Les islamistes vaincus, les lois sont restées. L’Etat d’urgence permettait justement tout ou presque: limitations des pouvoirs des élus, mainmise des corps de «sécurité» et des «Services» sur la vie publique, arrestations à «long séjour», mandats de dépôt abusifs, interdiction des marches et manifs publiques. Une vie de caserne pour un peuple en liberté surveillée. Sous pression, et obligé de «faire» quelque chose, le régime annonce la levée de l’Etat d’urgence dès le 23 février. La communauté internationale applaudira le geste, mais les plus avertis souriront de la ruse. L’état d’urgence sera remplacé, en catimini par une loi anti-terroriste dite spécifique. Avec les mêmes pouvoirs, les mêmes possibilités d’abus et les mêmes textes! Dans les faits, neuf mois après le discours, tout reste en l’état… de l’état d’urgence.
Fausse liberté de manifester
Le 12 février 2011, une coordination algérienne pour le changement tente le forcing par l’appel à la manifestation contre le régime. Ce samedi, Alger sera bleue, couleur des policiers en surnombre dans la capitale. Presque 30.000. Les manifestants sont vaincus par le nombre et les coups de matraques. Quelques jours avant, le ministre de l’Intérieur expliquera les règles du jeu truquée: on peut marcher n’importe où dans le pays, sauf à Alger, dira-t-il. Le but était de rassurer «l’international» en expliquant qu’Alger était une question de sécurité et pas de liberté. Sauf que dans les faits, les marches sont interdites, partout et avec la même méthode. A Oran, les manifestants qui demandent une autorisation à la préfecture se voient opposer un niet. C’est le cas ailleurs dans toutes les villes du pays.Les manifestants sont frappés, embarqués, arrêtés et malmenés. Et lorsque le reste se disperse, le régime envoie généralement la télévision d’Etat filmer les places vides et commenter «le peu de mobilisation des émeutiers». «On a droit de se rassembler dans les salles» expliquera ensuite le ministre de l’Intérieur. Dans les faits, les meetings sont autorisés à la dernière minute pour handicaper les médiatisations et les rares qui s’y intéressent sont ostensiblement filmés et photographiés par les Renseignements Généraux. Neuf mois après, les Algériens marchent, mais en rond.
De nouveaux partis avec de vieux amis
Bouteflika annoncera aussi son désir de «renforcer la démocratie» lors de ce fameux discours. En pratique, le casting politique est fixé depuis vingt ans, sous le chapitre de pluralisme de façade: deux partis réduit au ghetto ethnique de la Kabylie, trois partis du régime sous forme d’une Alliance Présidentielle, véritable parti unique à trois, et des islamistes de service, depuis longtemps assimilés. Pour faire croire à sa volonté de réforme «printemps arabe», le régime annonce la possibilité d’agréer de nouveaux partis. Le désenchantement des candidats sera rapide cependant: le ministre de l’Intérieur posera de telles conditions qu’on finira par comprendre que cela n’est pas possible. Le ministère garde la main lourde sur les autorisations, les règlements internes, les PV de validation, les congrès…etc. «En réalité, ce pouvoir a décidé de choisir ses adversaires», expliquera un observateur. Quatre partis sont annoncés comme favoris: mais avec des ex-employés du régime. Une opposition de 4 nouveaux partis «hand made». Le Slogan implicite?
«Le printemps arabe? Le jeune vous le promet, le vieux vous l’emporte».
Liberté de la presse?oui, mais...
Pour la liberté de la presse, la recette a été la même. Promettre, puis négocier, puis tergiverser, puis réduire, puis s’attarder, puis amender puis décider quand tout le monde a fini par s’endormir. Le nouveau code de la presse est dur, mais avec ruse. Pas de prison mais des amendes si lourdes qu’elles en deviennent mortelles. Le régime va mettre en place une autorité de régulation composée de quatorze membres.
«Parmi ses membres (art. 51), trois seront nommés par le chef de l’Etat dont le président de l’autorité, deux par le président de l’APN, deux par le président du Conseil de la nation, sept par la profession, renouvelables tous les six ans. Sept contre sept: l’équilibre semble parfait. Or, la réalité de la presse rend cette égalité factice. Car il suffirait que parmi les sept journalistes désignés, un seul appartienne à un journal proche du pouvoir – et ce n’est pas ce qui manque – et les voix basculeraient rapidement en faveur du pouvoir. Pour s’assurer de sa mainmise sur l’autorité de régulation, en cas d’égalité des voix, celle du Président sera prépondérante (art. 53) », note un journaliste d’El Watan.
En neuf mois, ça empire.
Une loi pour tuer les associations et les ONG
C’est la hantise du régime: les ONG, les «infiltrations» internationales, les enquêtes dont il ne contrôle pas les résultats et les associations qui ne dépendent pas de lui pour vivre et avoir de l’argent. On peut contrôler trente partis par les polices secrètes, mais pour dix mille associations, il faut des lois. Celle en projet sur les associations algérienne est une prison de fer. Concrètement, le projet de loi renforce surtout le contrôle du pouvoir sur les associations qui souhaitent travailler avec un partenaire étranger. L’article 23 les contraint par exemple à demander une autorisation auprès du ministère de l’Intérieur et celui des Affaires étrangères pour adhérer à des plateformes étrangères. De même, il est exigé aux associations voulant coopérer dans un cadre de partenariat avec des associations étrangères et organisations non gouvernementales internationales d’en faire la demande auprès du ministère de l’Intérieur (art. 24).
Le coup du régime gentil avec les femmes
Le discours de Bouteflika promettait encore un quota de 30% de femmes, obligatoires, dans les listes électorales des partis. Le grand célibataire (Bouteflika n’est pas marié) a pensé à l’effet d’annonce de cette décision, sur le plan international. Cela a du bon, produit un meilleure effet et prouve la volonté de changer. Neuf mois après, le vote du parlement et du sénat réduira la promesse faite aux femmes à une caricature. Le système des quotas est refusé par les députés alliés de Bouteflika, amendé et réaménagé en un système qui ne leur donne plus la priorité et les impose selon les «spéficités» de chaque préfecture. Elus machos contre femmes candidates. En vérité l’enjeu n’était pas seulement culturel: il s’agissait de sauver ses listes pour les partis conservateurs qui puisent leurs électorats dans le milieu rural et qui s’intéressent peu à la condition de la femme algérienne.
Neuf mois après, les machos ont gagné.
Kamel Daoud
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