À deux mois de la présidentielle, le patron du FLN attaque le général «Toufik», longtemps considéré comme un faiseur de rois.
A un peu plus de deux mois de l'élection présidentielle, la guerre des nerfs entre le clan du président Abdelaziz Bouteflika, 76 ans, et le général Mohamed «Toufik» Mediene, 73 ans, le chef du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), les fameux «services» qui tirent en coulisses les ficelles de la vie politique algérienne, commence à tourner au conflit ouvert. Lundi, le patron du Front de libération nationale (FNL), l'ancien parti unique, Amar Saïdani s'est lancé dans des déclarations incendiaires contre le général de l'ombre. Cet homme du sérail réclame, ni plus, ni moins, la tête de l'indéboulonnable «Toufik» dont la presse n'osait pas citer le nom voici une quinzaine d'années encore.
Bon connaisseur du système aux forts relents soviétiques dont il est issu, le secrétaire général du FLN n'hésite pas à le démonter pièce par pièce dans un entretien au site d'information TSA. «La présence de la sécurité intérieure dans toutes les institutions laisse une impression que le pouvoir en Algérie n'est pas civil», dénonce-t-il. «Les agents de ce département sont partout: dans les APC (les municipalités, NDLR), la présidence, au sein des partis politiques. Cela ne peut pas contribuer à l'édification d'un État civil.» Pour lui «la place des militaires est dans la caserne». Il poursuit: «Dans mon pays, le wali (le préfet, NDLR), les chefs d'entreprise sont contrôlés par des colonels. Je ne comprends pas pourquoi les téléphones des responsables sont mis sous écoute, alors que seul le juge est en droit d'ordonner ça. Je ferai l'impasse sur les enquêtes d'habilitation, qui empêchent des cadres d'exercer s'ils n'ont pas l'avis du colonel.» Il dénonce aussi les «échecs» des «services», qui «au lieu de s'occuper de la sécurité du pays, se sont occupés des affaires des partis politiques, de la justice et de la presse».
Amar Saïdani cite de multiples exemples pour mieux accabler le bilan sécuritaire de «Toufik». Il évoque les failles dans la protection du président Mohamed Boudiaf assassiné en 1992, l'affaire desmoines de Tibihirine enlevés dans leur monastère avant d'être tués, les grands attentats suicides commis à Alger en 2007 et la tentative d'assassinat du président Bouteflika à Batna la même année. «Toufik aurait dû démissionner après ces échecs», assure-t-il.
Mésentente au sommet
Ce brusque accès de sincérité d'un pur produit du système a été accueilli avec des pincettes par les médias algériens. Les journaux s'interrogent sur une nouvelle manœuvre de l'entourage d'Abdelaziz Bouteflika pour affaiblir l'homme fort du renseignement qui ferait obstacle à une réélection du président, malade. Faisant fi de l'état de santé d'un chef de l'État aux apparitions aussi rares que pathétiques, Amar Saïdani se dit en effet partisan d'un quatrième mandat. Une rallonge destinée à «garantir la stabilité» nationale et préserver les intérêts du clan.
Longtemps harmonieuses, les relations entre la présidence et la direction du renseignement se sont envenimées. À la fin d'une décennie noire, c'est pourtant bien le DRS qui avait invité avec insistance Abdelaziz Bouteflika à en finir avec sa traversée du désert entamée à la mort du président Boumediène en 1978. L'ancien ministre tiers-mondiste des Affaires étrangères avait succédé, comme convenu, à Liamine Zéroual en 1999 mais pour le DRS, «son périmètre ne devait pas dépasser celui du palais présidentiel», autrement dit le président était sous contrôle.
Le tandem Bouteflika-Toufik a toutefois fini par montrer des signes de mésentente, ces dernières années, à l'occasion des enquêtes diligentées par le DRS visant des proches du chef de l'État comme le ministre de l'Énergie Chakib Khelil, mis en cause dans le scandale de corruption de la Sonatrach, la société algérienne d'hydrocarbures. Le président algérien a riposté en divisant les «services». Trois de ses branches névralgiques ont été placées sous l'autorité directe d'un proche, le général Ahmed Gaïd Salah promu vice-ministre de la Défense. Abdelaziz Bouteflika peut compter également sur son frère Saïd, fidèle parmi les fidèles, toujours à ses côtés dans toutes les circonstances. Mais les efforts pour assurer la survie du groupe se heurtent à l'état de santé de son chef.
Victime d'au moins un AVC, Abdelaziz Bouteflika a été soigné pendant près de trois mois en France l'an dernier et ne s'est pas adressé aux Algériens depuis son retour en juillet. Il est en revanche apparu à trois reprises sur les écrans hagard, immobile, le regard vide en face du premier ministre français, Jean-Marc Ayrault, ou du président malien, Ibrahim Boubacar Keïta. Il bouge parfois sur des images montées sans bande-son. Son bras droit semble figé, paralysé, comme le pays qu'il est censé diriger. Abdelaziz Bouteflika a jusqu'au 4 mars à minuit pour signer sa déclaration de candidature. Le fera-t-il?
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