TSA : Vous avez justifié votre silence de dix ans par la « raison d’État ». Pensez-vous avoir convaincu les Algériens ?
Ali Benflis : À chacun d’apprécier comme il l’entend les raisons de mon silence. En 2004, je n’avais pas perdu l’élection présidentielle. Il y avait un vainqueur qui s’appelle la Fraude. Mais à l’époque, l’Algérie n’était pas encore sortie de la crise. Il était donc de mon devoir de ne pas aggraver la situation et de ne pas pousser aux extrêmes.
J’ai préféré reprendre le combat pour la démocratie plus tard. Durant les dix dernières années, je n’étais pas absent. J’ai visité 80% des wilayas et j’ai entretenu des relations avec les personnes qui me soutiennent.
Cette absence n’a-t-elle pas joué en votre défaveur dans cette course électorale ?
Pas du tout. Preuve en est que je tiens mes meetings dans des salles archicombles. À Tlemcen comme à Tizi Ouzou, vous avez pu assister à des bains de foule. À Sétif, malgré le mauvais temps les gens se sont déplacés pour assister à mes meetings.
Le terme transition semble fédérer des personnalités politiques de tendances différentes. À quoi devrait aboutir la transition ? Le système que vous ne cessez de critiquer dans votre campagne doit-il jouer un rôle dans cette phase de transition ?
Il faut absolument que toutes les forces politiques, sans exclusion – y compris le pouvoir –, puissent se réunir autour d’une table pour poser les vrais problèmes de la société algérienne et proposer des solutions.
Certains défendent une transition sans passer par des élections. Je suis un démocrate, je respecte absolument cette position. Pour eux, l’élection est jouée d’avance. Selon eux, tenir des élections dans ce cas-là serait puéril. Ils proposent comme alternative de réunir les acteurs politiques autour d’une table afin d’envisager des solutions et d’organiser la transition.
Une deuxième partie prêche le boycott, un choix que je comprends parfaitement. Pour les partis et les personnalités politiques qui ont opté pour ce choix, cette élection n’est pas la solution. Leur argument ? Les élections ont été marquées par la fraude par le passé.
Je respecte ces positions mais je ne suis pas d’accord. Un boycott général et généralisé sert le pouvoir et lui donnera une autre chance de se perpétuer. Ceci dit, je n’ai aucun problème avec les boycotteurs. Le boycott est une positon politique et une forme d’expression. En ce qui me concerne, j’estime qu’aller aux élections, c’est d’abord une possibilité d’utiliser les médias, publics et privés, pour exprimer mes positons et les faire connaître au peuple algérien et pour rassembler le maximum d’hommes et de femmes, pour empêcher qu’il y ait fraude. L’objectif étant d’initier le changement à travers les urnes. Les Algériens souhaitent un changement pacifique. J’ai constaté ça à travers les meetings que j’ai eu à animer dans plusieurs régions du pays.
L’armée a-t-elle un rôle à jouer dans ce processus politique ?
Durant la période de crise, l’armée a été mise dans l’obligation de jouer un rôle politique. Oui, l’armée est un acteur. Je pense que cette institution souhaite que la politique joue pleinement son rôle, ce qui lui permettra de revenir à ses missions constitutionnelles.
C’est parce que le jeu politique est faussé que la crise s’est aggravée. Et que l’armée est intervenue pour sauver les institutions du pays. Concernant la présidentielle, je m’en tiens à la déclaration du vice-ministre de la Défense, M. Gaïd salah, qui a, dans une récente déclaration, affirmé que l’armée restera neutre. J’ai pris acte de cette déclaration.
Par ailleurs, dans une transition, tous les acteurs politiques, toutes les institutions qui peuvent aider à la solution de la crise doivent être associés au débat.
Donc, pour vous, l’armée n’a pas choisi son candidat ?
Je précise que l’institution militaire souhaite, à mon sens, une solution à cette crise et que cette solution peut passer par les urnes. Mon souhait est de voir l’institution militaire apporter son aide à ce changement par les élections en respectant le choix du peuple.
Le changement peut-il venir de la rue ?
Le changement pacifique en Algérie est possible si les élections se tiennent dans des conditions normales. Si les règles de transparence sont respectées. Il serait dangereux de provoquer le peuple à travers des élections entachées d’irrégularités.
Dans ce deuxième cas, êtes-vous prêt à investir la rue ?
Je suis soutenu par des millions de citoyens. Tous ces derniers ne souhaitent qu’une seule chose : que les élections se fassent dans la transparence ! En ce qui me concerne, je ne me tairai pas s’il y a violation de la volonté populaire.
Comment comptez-vous organiser la protestation ?
Nous allons surveiller la régularité des élections. Nous serons présents dans tous les bureaux de vote. J’ai plus de 60.000 observateurs qui seront dans les bureaux pour faire échec à la fraude.
Êtes-vous pour la révision des dispositions de la Charte pour la paix ?
Il y a eu trois tentatives pour résoudre la crise dans le pays. Réconciliation, Rahma et Concorde. Je les ai toutes assumées. Mais la crise n’est pas totalement réglée. J’ai dit que j’allais approfondir la réconciliation nationale. Je le ferai en concertant le peuple algérien, les acteurs politiques, la société civile, via un débat national. Nous allons recenser tous les aspects non réglés de la crise. Nous traiterons toutes les questions, y compris celle ayant trait aux parties qui seront conviées au dialogue national. Les résultats seront soumis à référendum.
Les cadres de l’ex-FIS seront-ils invités à ce dialogue ?
Les parties qui prendront part à ce débat décideront de l’ordre du jour et de la qualité des invités.
Quelle est la frontière entre votre projet de réconciliation nationale approfondie et l’amnistie générale ?
Il n’y a pas de solutions avec l’exclusion. Encore une fois, ce sont les parties en présence dans ce débat qui décideront des questions qui seront posées au peuple lors du référendum.
Défendrez-vous l’amnistie générale ?
C’est encore prématuré pour évoquer un tel projet.
Dans le cadre de cette réconciliation approfondie, seriez-vous prêt à ouvrir le dossier des disparus et des détenus du Sud ?
Je ne suis pas mandaté par le peuple pour évoquer ces sujets. Mon devoir est de réunir tous les acteurs politiques et autres pour un débat national afin de discuter de toutes les questions qui touchent les Algériens. Oui j’ai dit que l’État a commis des erreurs. C’est une évidence, l’État peut se tromper. Il fait partie de la grandeur d’un État que de reconnaitre certaines lacunes liées à la gestion du pays.
Avez-vous rencontré les cadres de l’ex-FIS ?
Je suis un homme politique. Je rencontre tous les acteurs politiques, y compris ceux qui ont des visions différentes de celle que je développe. D’ailleurs, la loi ne l’interdit pas.
Êtes-vous pour l’officialisation de Tamazight ?
En 2001, j’ai défendu le texte faisant de Tamazight une langue nationale. Je regrette néanmoins le fait que le projet que j’avais initié à l’époque, pour permettre à cette langue d’être enseignée et pour faire avancer les choses, n’ait pas été pris en considération. Si je suis élu, je donnerai toutes les possibilités à Tamazight pour être reconnu et j’engagerai toutes les démarches afin de réaliser toutes les avancées. Ce n’est pas en reniant notre identité que nous allons régler les choses.
Certains observateurs pensent que le candidat Benflis se positionne pour l’après-17 avril…
Je suis un homme politique et un homme politique ne s’arrête jamais sauf quand son cœur s’arrête de battre. J’entends jouer mon rôle jusqu’au bout. Toutes les chances de succès sont de mon côté. Quoi qu’il arrive, je resterai sur le terrain. Mon combat pour la liberté et la démocratie se poursuivra.
Vous avez appelé à la chute du système. Mais pour certains, vous êtes l’autre phase de ce même système…
Les gens ont le droit de penser cela. En 1988, on m’a appelé pour prendre une lourde responsabilité. Celle de ministre de la Justice. J’ai répondu à l’appel de mon pays. J’ai fait ce que j’ai pu pour la justice. Avoir fait partie du système et entendre des gens dire cela ne me dérange pas. Les hommes politiques sont jugés sur leurs actes et non sur leur appartenance à tel ou tel système. C’est mon combat pour les droits de l’homme qui m’a amené à cette fonction. En 1991, il y a eu des dépassements. Et c’est pour ne pas avoir accepté que la liberté soit restreinte en dehors du cadre judiciaire que j’avais démissionné. J’avais refusé de cautionner les dérives.
Parlons de l’international. La diplomatie algérienne manque d’efficacité. Qu’elle est votre vision de la politique étrangère ?
L’action extérieure n’est que le reflet de la situation interne. Le projet de renouveau que je propose vise à redynamiser l’action extérieure sur la base d’une stratégie qui permette à notre pays d’être présent dans des espaces stratégiques. J’entends par là l’Afrique et la Méditerranée.
Croyez-vous à un axe Alger-Paris fort ?
L’Algérie et la France sont deux pays importants en Méditerranée. Ils ont des responsabilités à assumer, des actions à entreprendre pour demain. Je plaide pour un partenariat durable qui prend en compte l’intérêt bien compris des deux pays.
Les frontières avec le Maroc sont fermées. Les relations entre les deux pays sont difficiles. Comment comptez-vous gérer ce dossier ?
Les frontières seront ouvertes quand les problèmes entre les deux pays seront réglés. Il n’est pas dans mon intention d’entreprendre toute action qui ne préserve pas les intérêts du peuple algérien.
Par ailleurs, j’œuvrerai à faciliter les solutions entre les protagonistes du conflit au Sahara occidental dans le cadre de la légalité internationale et sous l’égide des Nations unies.
La direction de campagne du candidat Bouteflika vous accuse de perturber ses meetings…
Je n’ai pas de commentaire à faire. Je m’occupe de ma campagne.
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