Louisa Ait Hamadouche est politologue. Dans cet entretien, elle explique pourquoi les meetings électoraux des candidats à la présidentielle n’attirent pas la foule.
Pourquoi le désintérêt de la population vis-à-vis de la présidentielle est-il plus important cette année ?
Depuis 1999, il y a un désintérêt grandissant vis-à-vis de la présidentielle. Ce désintérêt est proportionnel au fait que plus on avance dans les élections présidentielles, moins il y a du suspense quant à leurs issues. L’Algérien n’a pas le sentiment qu’il y ait la moindre inconnue quant à l’issue de l’élection : tout semble aller dans le sens d’un plébiscite a priori et a posteriori en faveur du Président sortant. Et les candidats, qui tentent de mener une bataille contre lui, sont en situation très défavorable. S’il y a six candidats, chacun d’eux doit faire face, en théorie, à cinq adversaires. Ce n’est pas du tout le cas. À part le Président sortant, chaque candidat fait face aujourd’hui à onze adversaires puisque le Président sortant a sept représentants. Sans la presse écrite et les télévisions privées qui animent un peu cette campagne à travers les débats qu’ils organisent, je crois que l’élection se fera quasiment dans la plus grande indifférence.
Mais plusieurs mouvements de protestations contre cette élection ont vu le jour …
On observe des poches de contestation contre la façon avec laquelle les élections se préparent mais également contre la façon avec laquelle la candidature du président sortant est présentée. Cette contestation est divisée en deux catégories. La première est celle des partis politiques appelant au boycott en considérant que cette élection est non seulement une mascarade, mais une honte pour un pays comme l’Algérie. Elle est organisée et structurée à travers des partis de différentes idéologies. On peut considérer que cette contestation peut perdurer, s’organiser et survivre à l’élection présidentielle si le consensus entre ces partis se maintient. Mais d’un point de vue social, il est difficile de dire ce qu’ils pèsent réellement.
La deuxième est beaucoup plus spontanée et beaucoup moins organisée. Émergeant de la société civile, elle est apparemment non partisane. Son avenir dépend de la façon dont elle se structurera. Un mouvement qui ne se structure pas, soit évolue en mouvement de foule de très large portée, soit il disparaît. Mais ces mouvements (spontanés) restent minoritaires. Dans l’une des régions des plus politisées et des plus contestataires, la Kabylie, on pouvait s’attendre à ce que le meeting (de Amara Benyounes et Amar Ghoul) soit chahuté de manière spectaculaire. Ce qui n’a pas été du tout le cas. Cela veut dire qu’il y a une tendance vers la dépolitisation.
Comment expliquez-vous le fait que le discours des candidats soit axé sur la sécurité ?
Tous utilisent l’aspect sécuritaire et la peur du chaos (de revenir aux années 1990) comme un instrument de propagande politique. Et cela est significatif de l’absence du débat politique. En fait, aucun candidat ne s’inscrit dans une logique de rupture systémique. Tous ont construit leur profil politique dans le cadre d’un système autoritaire et ont donc du mal à construire un discours démocratique d’où l’importance du discours populiste dans leur démarche. La violence comme valeur fondatrice de l’État et du système algérien et la situation actuelle expliquent également le recours à ce discours sécuritaire. Tous les candidats font référence à la Guerre de libération et aux années 1990. Donc à une période glorieuse et à une période douloureuse mais aucun d’eux ne parle d’une lecture objective de la Guerre de libération ou des années 1990.
De nombreuses questions ne sont pas abordées au cours de cette campagne par certains candidats, dont la politique étrangère de l’Algérie …
Paradoxalement, et c’est très caractéristique des élections en Algérie et particulièrement de celle du 17 avril prochain, tout le monde est d’accord sur le discours sécuritaire. C’est très significatif dans le sens où cela montre que l’ensemble des candidats véhiculent le même discours qui s’inscrit globalement dans le système politique tel qu’il est conçu depuis l’indépendance. Aucun candidat ne sort de ce schéma. Pour la politique étrangère par exemple, on ne remet pas en cause la position de l’Algérie sur le Mali ou sur l’Égypte où il y a eu au coup d’État contre le président Morsi. On considère ces positions comme faisant partie des constantes qu’on ne discute pas. D’où l’absence de débat sur la politique étrangère. Et cela est très surprenant. Si on faisait un bilan objectif de la politique étrangère de l’Algérie, il y aura beaucoup de choses à dire sur la perte considérable de son influence tant au Sahel qu’en Afrique ou au sein de la Ligue arabe. En fait, l’ensemble des candidats sortent du même moule et aucun ne constitue, réellement et essentiellement, une alternative au Président sortant. Il s’agit plus de piques qu’on se lance sur certaines questions plutôt qu’une remise en cause profonde du système politique. Chose qui explique que les Algériens se désintéressent de la chose politique en considérant qu’aucun candidat ne représente une réelle rupture avec le système.
Doit-on s’attendre à un taux d’abstention record ?
Il y a de très fortes chances que l’abstention soit importante de même qu’elle était dans les autres scrutins. Maintenant, qui vérifiera la véracité des chiffres officiels qui seront communiqués ? On ne sait pas. L’abstention est à analyser comme une position protestataire à l’égard du personnel politique, mais il s’agit aussi d’un phénomène inquiétant. Il peut signifier aussi que les Algériens démissionnent de la chose publique. Et moins les citoyens sont concernés par la chose politique et plus les extrémistes pourront trouver un terreau fertile à leur discours. Il y a une tendance lourde vers un désintérêt de la chose politique et vers un intérêt pour la chose religieuse. Et si celle-ci est prise en charge par des courants extrémistes, on sait à quel point cela peut être dangereux dans des esprits qui ne sont pas formés à la critique. Un Algérien dépolitisé est un Algérien qui ne sait pas analyser une situation de manière objective et qui n’a pas d’esprit critique.
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