Search This Blog

Wednesday 12 January 2011

En quelques heures, le Liban bascule dans l’inconnu...

Par Scarlett HADDAD | mercredi, janvier 12, 2011

De gauche a droite, MM. Michel Aoun, Sleimane Frangié, Hussein Khalil et Ali Hassan Khalil.
De gauche a droite, MM. Michel Aoun, Sleimane Frangié, Hussein Khalil et Ali Hassan Khalil.

C'est exactement le même scénario (en plus grave) qu'après l'interview du Premier ministre Saad Hariri au quotidien saoudien al-Chark el-Awsat - dans laquelle il avait reconnu l'existence d'un dossier relatif aux faux témoins et estimé que le commandement syrien n'est pas impliqué dans l'assassinat de son père - qui se reproduit. Sauf que cette fois Saad Hariri a accordé une interview au quotidien saoudien al-Hayat et a officiellement annoncé que l'accord syro-saoudien a été conclu depuis longtemps, rejetant la responsabilité de sa non-application sur « l'autre camp » qui n'aurait pas tenu ses promesses. Comme lors de la précédente entrevue à un quotidien saoudien, le camp du 14 Mars, notamment le chef des Forces libanaises, est passé outre à la déclaration de Hariri, et les ténors de l'opposition, Nabih Berry et le Hezbollah en tête, ont critiqué le Premier ministre, l'accusant de vouloir fuir ses responsabilités en les rejetant sur les autres.
La légère brise d'optimisme qui avait soufflé sur le Liban s'est aussitôt dissipée, en dépit des affirmations de certains irréductibles optimistes qui continuent de croire que la balle est désormais dans le camp libanais, ce qui rendrait les règles du jeu plus faciles, de plus en plus de parties libanaises estiment au contraire que la crise actuelle est devenue encore plus compliquée, privée de son plafond arabe. Certains vont même jusqu'à dire qu'elle ne peut plus être résolue « à froid ». Selon ces derniers, les Libanais ont montré au fil des années leur incapacité à produire un compromis, préférant qu'il leur soit imposé « à chaud ».
Mais que s'est-il passé au cours des dernières heures, qui a totalement modifié le climat général et poussé le général Michel Aoun à annoncer officiellement la fin de l'initiative syro-saoudienne, qui, la veille, était encore sur le point d'être appliquée ? Une source de l'opposition précise que celle-ci a été informée des résultats des entretiens de New York et de Washington entre le roi Abdallah, son fils l'émir Abdel Aziz et l'ambassadeur d'Arabie d'un côté, les représentants de l'administration américaine de l'autre. Les Américains auraient ainsi fermement demandé aux Saoudiens de ne pas céder aux pressions conjointes de la Syrie et du Hezbollah. D'ailleurs, toujours selon cette source, les propos du Premier ministre libanais sur « l'autre camp qui n'aurait pas tenu ses engagements » s'adressaient essentiellement à la Syrie, qui, sur le plan libanais, n'aurait pas retiré les mandats d'arrêt émis contre une partie de ses proches collaborateurs, et, sur le plan régional, aurait refusé de répondre aux demandes américaines concernant plusieurs dossiers en cours. Même le président français Nicolas Sarkozy, qui aurait tenté une médiation dans ce domaine, a dû renoncer à son projet et le fameux accord syro-saoudien a été enterré avant d'être officiellement né.
Le général Aoun n'a pourtant pas fermé toutes les portes, annonçant le début d'une initiative libanaise pour prendre le relais de la médiation syro-saoudienne. Du côté de l'opposition, on estime ainsi qu'il sera encore possible de parvenir à une entente interne, si le Premier ministre fait preuve de bonne volonté et réduit le plafond de ses exigences. Saad Hariri est ainsi accusé par l'opposition de ne pas avoir suffisamment mesuré la gravité de l'enjeu, tentant d'inclure des dossiers internes dans l'accord syro-saoudien, comme le fait d'avoir les mains libres dans la gestion des affaires du pays, la légalisation du département des informations au sein des FSI et la promotion du colonel Wissam Hassan, et surtout l'abandon de la revendication du transfert du dossier des faux témoins devant la Cour de justice, où il n'y a pas de prescription, alors que devant la justice ordinaire les plus graves dossiers sont fermés au bout de dix ans. Le Premier ministre ne voudrait pas que ce dossier reste une épée de Damoclès brandie au-dessus de la tête de certains de ses proches collaborateurs, alors que, pour l'opposition, il constitue l'antichambre de la solution. Pour le Hezbollah, il ne s'agit pas tant de traduire en justice des personnalités libanaises (le secrétaire général du Hezbollah a d'ailleurs lui-même déclaré dans un de ses discours qu'au Liban on ne demande de comptes à personne) que de suspendre l'action du TSL et de discréditer l'acte d'accusation annoncé avant sa publication. Les discussions des derniers jours ont aussi porté sur un éventuel remaniement ministériel ou un changement total de gouvernement. Là aussi, les Américains ont clairement déclaré leur appui à l'actuel gouvernement et refusé tout remaniement. L'opposition pourrait aussi accepter de renoncer à la menace de changer le gouvernement à condition d'obtenir une participation effective dans toutes les décisions. Le Hezbollah estime à cet égard que ce qu'il appelle le complot ourdi contre lui a aussi une dimension interne, et qu'il n'est pas seulement pris pour cible par les parties étrangères, mais également par des parties libanaises, et il voudrait donc avoir les moyens de se protéger, en ayant son mot à dire dans toutes les décisions. Il considère ainsi que le Conseil des ministres devrait ressembler à une gestion collective, au lieu d'être entièrement soumis au Premier ministre.
Le scénario de la sortie de crise, aux yeux de l'opposition, commencerait par la tenue d'une réunion extraordinaire du Conseil des ministres, chargée de régler le dossier des faux témoins, quitte à recourir à un vote (au sujet de son transfert devant la Cour de justice) qui départagerait les protagonistes. Mais cette revendication, qui n'a pas été acceptée alors que le processus de médiation syro-saoudien était en cours, a bien peu de chances d'être adoptée dans une situation d'impasse régionale. Il semble donc de plus en plus probable que l'opposition devra recourir à un de ses plans de rechange dans les plus brefs délais. La réunion de Rabieh est une étape, qui sera suivie d'autres. En quelques heures, le Liban a basculé dans l'inconnu.


No comments:

Post a Comment