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Tuesday, 31 May 2011

La Libye et nous.. Entre « otanisateurs » et haine de la démocratie

Par Ahmed Selmane, La Nation, 24 Mai 2011
Les preuves de l’envoi par l’Etat algérien de mercenaires pour soutenir Mouammar Kadhafi n’ont, jusqu’à présent, pas été fournies. Les opposants libyens de Benghazi qui sont à l’origine de ces accusations font flèche de tout bois politique et ne s’embarrassent pas du principe qui veut que l’accusateur a la charge d’administrer la preuve.
La « rébellion » de Benghazi, dirigée en bonne partie par des soutiens fervents de Kadhafi durant son long règne, ne se trompe pourtant pas en constatant que le gouvernement algérien se refuse à la soutenir. Pour de mauvaises raisons parfois. Sadek Bouguetaya, caricatural apparatchik du FLN qui a des liens familiaux en Libye leur a donné une expression grossière et choquante en clamant à Tripoli un « que Dieu maudisse la démocratie ! ». Ses propos ont d’ailleurs servi à ceux qui en Algérie sont prêts, pour des mauvaises raisons également, à croire que le gouvernement a bien envoyé des mercenaires en Libye. Ceux-là soutiennent totalement le CNT libyen et n’ont aucun état d’âme – bien au contraire – face à l’intervention de l’Otan comme acteur dans la crise libyenne. Dans le meilleur des cas, la question est balayée par un « c’est la faute à Kadhafi » qui permet de ne pas avoir à discuter, politiquement, des implications de ce « nouveau » précédent. Pourtant l’Alliance Atlantique – apparemment il est nécessaire de le rappeler- est une organisation militaire qui n’est pas et n’a jamais été en charge de la diffusion de la démocratie. « Nous allons sûrement jouer un jouer un rôle de soutien dans le processus démocratique de la Libye post-Kadhafi", a affirmé le secrétaire général de l’Otan Anders Fogh Rasmussen. Voilà qui est d’une grande clarté. Les officiels algériens ont démenti avec vigueur un « soutien » militaire au régime de Kadhafi tout en ne cachant pas qu’ils ne nourrissent aucun enthousiasme pour le clan de Benghazi. Les accusateurs n’ayant pas – jusqu’à présent – apporté d’éléments prouvant cette implication, ces allégations relèvent de la propagande politique ou de la pression.

« Mais que font nos services ! »

A priori, l’extrême prudence du gouvernement algérien sur l’affaire libyenne ne devrait pas le conduire à prendre des risques à apporter une aide militaire à une Libye dont le territoire est scruté avec attention par les moyens de l’Otan. Il faut en outre constater que le « sujet » a été surtout traité par la chaîne Al Jazira et de la presse algérienne. L’affaire libyenne, contrairement à ce qui s’est passé en Tunisie et en Egypte, est source d’embarras général. Le régime de Kadhafi n’est pas défendable mais la manière dont il est entrain d’être éliminé, méthodiquement, par l’Alliance Atlantique, ne peut dispenser d’une réflexion politique sérieuse pour l’avenir proche. Idéalement, l’affaire libyenne aurait du être réglée, en faveur de la population, par une implication forte et directe des pays voisins (Algérie, Tunisie, Egypte) qui ont infiniment plus de légitimité à le faire que les occidentaux. Cela ne s’est pas fait et on ne peut que le regretter. Et même paraphraser une interjection célèbre sur la police en clamant « mais que font nos services » ! Il faut bien admettre que le régime de Kadhafi est en agonie mais aussi que la Libye va être durablement sous le contrôle des occidentaux à travers la Société Anonyme OTAN. Personne ne regrettera – hormis Bouguetaya and co – Kadhafi, mais beaucoup se refusent à suivre un courant qui s’affirme dans les champs politiques arabes muselés, celui des « otanisateurs ». Beaucoup d’adeptes de ce courant sont à leur « place » et ont participé en tant que partie prenante des régimes en place à faire de la « menace islamiste » une justification du rejet de la démocratie. Mais, il faut bien le noter, les « otanisateurs » comprennent aussi des hommes et des femmes chez qui la détestation des régimes en place est devenue, au fil des décennies, surdéterminante. Au point de faire taire la traditionnelle prévenance à l’égard des occidentaux qui ont soutenu avec constance et détermination les régimes autoritaires arabes.

Intérêts occidentaux et insécurité nationale

Ce que la Libye révèle est que la tyrannie fini par créer une disponibilité chez une partie au moins de la société à faire sauter les digues et à accepter une intrusion étrangère dont le coût sera immanquablement très élevé. De ce point de vue, les régimes autoritaires sont les plus grands « otanisateurs » même si leur discours met en avant, ad nauseam, les notions de souveraineté pour l’opposer à la démocratie. Ce faisant ils créent les conditions pour que l’énorme supercherie d’une OTAN qui «démocratise » et « moralise ! » passe presque comme une lettre à la poste. Le cas libyen concerne tous les pays. Il concerne l’Algérie. Sommes-nous condamnés à choisir entre l’Otan et la haine de la démocratie ? Les questions s’adressent, en premier lieu, aux tenants du pouvoir. Les occidentaux sont des « pragmatiques », ils jouent aussi bien la carte de la dictature que celle de la démocratie. Ces excellents amis de Kadhafi se blanchissent aujourd’hui à son détriment. Et, aussi, au détriment du peuple de Libye. Et que nul ne s’y trompe : tous les régimes arabes sont susceptibles du même traitement. Servir docilement les occidentaux n’est donc pas un gage de reconnaissance ni une garantie de loyauté de leur part. L’histoire montre que l’Occident utilise systématiquement les opportunités pour orienter les politiques et qu’il s’adapte avec une étonnante ductilité aux mouvements des sociétés. Les occidentaux ont des intérêts dans nos pays, c’est un fait établi. Ils jouent un rôle important dans les politiques des régimes arabes par des voies occultes. Les sociétés arabes gagneraient beaucoup à ce que ces intérêts occidentaux soient identifiés et transparents afin de s’assurer qu’ils sont mutuellement utiles et qu’ils ne servent pas de simples objectifs particuliers des gens de pouvoir. Plus ces intérêts sont opaques et plus ils deviennent un prétexte à l’ingérence étrangère. A l’heure où le pouvoir algérien annonce des « réformes », peut-on s’attendre à ce que le « cas libyen » soit apprécié dans sa véritable dimension ? L’autoritarisme est devenu une source d’insécurité nationale et une menace contre une souveraineté nationale acquise au prix fort. A trop vouloir ruser, gagner du temps et leurrer l’opinion, on détruit les ultimes digues. A détester la démocratie – et donc à mépriser le peuple -, on fabrique des « otaniseurs » convaincus que le pire, c’est le régime… Cette réalité est désormais visible… sauf pour les aveugles.

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