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Thursday, 7 November 2013

Algérie: qui est l'auteur du massacre du 5 juillet 1962 à Oran?

Compte tenu du fait qu'il n'y a pas encore, sur cet événement, un ouvrage de la dimension de ceux de Roger Vétillard sur les massacres du 8 Mai 1945 ou du 20 août 1955, voici quelques réponses et hypothèses.

C'est l'OAS !

C'est ce qu'on entend à Oran de la part des militants FLN. Le peuple fête l'indépendance et l'OAS lui tire dessus. Suscitant sa furie. Cet argument ne tient pas. Les OAS étaient peut-être furieux, mais pas fous. S'il en restait ce jour-là à Oran, ils se terraient. De plus, la tuerie ne démarre pas en un seul endroit pour ensuite faire tache d'huile, mais simultanément dans tous les quartiers d'Oran, dès la matinée (sans parler des enlèvements, les jours et les semaines précédentes).


Certains historiens algériens, tel Fouad Soufi, évoquent aussi l'OAS, mais pour justifier la fureur populaire: des hommes et des femmes lynchent, crèvent les yeux, arrachent les membres, éventrent, étripent, etc. Argument tout aussi faible que le précédent. La violence OAS a été pareille à Alger (voiture piégée du port, mortiers sur Belcourt, etc...) mais point de massacre final.

Le peuple

Il a effectivement pris sa part au massacre. Même s'il y a eu des Justes qui ont prévenu, protégé, caché, sauvé. 10 à 15% de la population, comme dans tous les génocides du monde. Mais faire endosser au ''peuple'' l'idée même du massacre relève de la lâcheté des véritables concepteurs et encadreurs. Ce qui s'est passé le 5 juillet 1962, puis le 6, et le 7, l'a été sur une trop grande échelle (Oran était la 2e ville d'Algérie), et mobilisé une logistique de trop grande ampleur pour que l'on puisse croire une seule seconde en la spontanéité du ''peuple''. Ni simultanéité, ni spontanéité.

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Durant ces trois journées, on gère des dizaines de milliers de personnes, victime comprises. Des milliers de civils non-musulmans sont arrêtés, emmenés, à pied, dans des voitures, ou dans des camions, vers les lieux de détention déjà préparés à cet effet (commissariats de la ville, le central et ceux des quartiers, les Abattoirs, et d'autres grandes surfaces, dans différents quartiers), puis acheminés vers le quartier périphérique du ''Petit Lac'' pour être livrés à une foule ivre de sang.

Anticipation, organisation, mobilisation de moyens humains et matériels, encadrement: seules des organisations puissantes et rôdées sont capables d'une telle performance.Les meneurs sont des militants du FLN oranais, et des forces militaires et policières (arabes), mises en place après l'accord de cessez-le-feu du 19 mars, conjointement par le FLN-ALN et la France, en principe pour assurer l'ordre et prévenir tout débordement.

En fin d'après-midi de la première journée, des officiers de la future Sécurité militaire de Boumediene (MALG à l'époque) interviennent démonstrativement, trop démonstrativement, pour arrêter certains de ces meneurs et empêcher quelques massacreurs. (Et ce, puisque les 18.000 soldats de l'armée française, à quelques exceptions près, observent le massacre sans réagir). Ces officiers sont en relation avec le Capitaine Bakhti qui dirige les troupes de l'ALN envoyées depuis quelques jours à Oran par le chef d'Etat major Houari Boumediene, qui, venu du Maroc, se trouve lui à Tlemcen avec Ben Bella...

On peut donc dire que la gestion de la tuerie du 5 juillet 62 a été l'œuvre de deux forces, celle du FLN d'Oran, et celle de l'ALN de Boumediene.

Division du travail ou manipulation?

Division du travail entre ces deux forces, il y a eu objectivement. Mais cela ne s'est fait ni volontairement, ni consciemment, pour la simple raison que ces deux forces sont en opposition. Il faut savoir en effet qu'à cette époque, la ''Révolution'' est bicéphale. Son pouvoir est partagé entre deux forces. D'un côté le GPRA (Gouvernement provisoire) qui a une certaine légitimité internationale puisqu'il l'a représentée depuis sa création en 1958. En juillet, il se trouve déjà à Alger. Et de l'autre, l'Etat-Major de l'ALN (armée) et sa Sécurité militaire qui représentent la force réelle. Boumediene s'est déjà choisi son premier Président de la République, Ben Bella. Trois années après, le 19 juin 1965, il le destitue. Boumediene est mort en 1978, mais sa créature, la Sécurité Militaire, dirige toujours l'Algérie.

Or à Oran, le FLN a prêté allégeance au GPRA, et représente un obstacle à la marche vers le pouvoir central. Son chef est ''Abdelhamid'' ou ''Hamid'', de son vrai nom Chadly Benguesmia (En 2006, j'avais essayé de le rencontrer. Son neveu, avocat, me dit que c'était possible, puis se rétracta, prétextant l'état de santé de l'oncle). On peut donc dire que le 5 Juillet, c'est aussi la prise d'Oran par l'ALN de Boumediene, représenté par le Capitaine Bakhti qui placera Abdelhamid en résidence surveillée les jours suivants. La marche vers Alger est désormais possible. Elle est finalisée en septembre après les affrontements d'Août qui font des dizaines de milliers de morts (non comptabilisés à ce jour) dans la région d'Alger entre les willayate fidèles au GPRA et l'armée moderne de Boumediene venue de Tunisie et du Maroc.

Dans la 4e partie d'Algérie, histoires à ne pas dire', un activiste FLN parle élogieusement d'Abdelhamid, et nous apprend qu'il a dirigé le FLN oranais durant toute la guerre, clandestinement, habitant à la Marine, le quartier le plus espagnol d'Oran. Puis, qu'après les ''Accords d'Evian'' du 19 mars, il installe son QG au Petit Lac. Enfin, qu'à l'approche du 5 juillet, il s'installe plus centralement dans le quartier musulman de la Ville Nouvelle. Or, nous savons que la Ville Nouvelle comme le Petit Lac ont été des hauts lieux du massacre. Au Petit Lac, où sont jetés d'innombrables corps généralement mutilés, officient les lieutenants d'Abdelhamid, les deux frères Attou (le cadet vivait tranquillement à Marseille ces dernières années).

S'il est évident que ces deux forces, bien qu'opposées, ont objectivement collaboré, qu'est-ce qui les réunissait, hormis l'indépendance? Les écrits des dirigeants nationalistes n'en font pas mystère. La seule chose qui unit le GPRA de Ben Khedda à l'ALN de Boumediene, c'est bien le refus de cohabiter avec une forte population de non-musulmans (un million à l'époque, d'origines juive et chrétienne, pour 9 millions d'Arabo-Berbères musulmans). L'idéologie ''nationale'', en fait nationaliste, excluait l'éventualité d'une Algérie multiethnique. La ''guerre de libération'' a donc d'abord été une ''guerre d'épuration''. Du premier au dernier jour. Les victimes civiles non-musulmanes représentent la moitié des victimes militaires. Cette stratégie de la terreur avait un but : inciter les non-musulmans à quitter l'Algérie, si possible avant même l'indépendance.

Or, en 1961 et 62, trop de Juifs et de Chrétiens pensent encore qu'il ne faut pas céder à la panique et que peut-être ''les choses vont s'arranger''. On décide donc de leur envoyer deux messages dénués de toute ambigüité. Le 22 Juin 1961, à la communauté juive. Raymond Leyris, musicien de Constantine et symbole d'une possible fraternité judéo-arabe, est assassiné. Et le 5 juillet à Oran à la communauté pied-noire chrétienne. Même si beaucoup de Juifs figurent aussi parmi les victimes. Viviane Ezagouri dont le père a ''disparu'' et qui elle-même échappa miraculeusement avec son fiancé au lynchage, raconte que la tête du patron du bar juif de la Rue de la Révolution, Mr Fellous, servit de ballon de foot.

Le message du 5 juillet a en fait deux destinataires. A ceux qui avaient projeté de rester, on leur dit: Partez ! Et à ceux qui, partis en grande panique, espéraient revenir après l'indépendance: Surtout ne revenez pas, restez où vous êtes!

Malgré ce but commun, les deux forces, GPRA et ALN, demeurant opposées, comment s'est faite la gestion concrète du massacre, avant, pendant, et après ? Pour répondre à cette question, comme à d'autres, il faudrait que les archives algériennes soient ouvertes aux historiens (dans un siècle ?). Seuls des décisionnaires de l'époque auraient pu nous apporter quelques lumières... La plupart sont morts. Et aucun historien algérien n'a été assez courageux, pour les interroger. La peur est une donnée constitutive de l'intelligentsia en pays totalitaire. Seules sont donc permises des hypothèses. Celle d'un chercheur sur cette tuerie, Jean-Claude PAYA, est celle qui me séduit le plus, car elle permet d'expliquer deux démarches apparemment contradictoires: selon lui, l'ALN de Boumediene aurait été pyromane puis pompier.

La Sécurité militaire (alors MALG) a fait montre, depuis, de tout son savoir en matière de manipulation. Les Algériens en savent quelque chose.

Connaissant les coups tordus de toutes les polices secrètes, on peut très bien imaginer que le 5 Juillet, la Sécurité militaire lance l'opération, laisse croire au chef du FLN d'Oran, Abdelhamid, qu'il est le seul décideur, lui permettant même d'opérer suffisamment longtemps pour que la terreur s'empare des non-musulmans, pour, en fin de parcours, commencer de façon très démonstrative à s'y opposer...

Boumediene gagne ainsi sur tous les tableaux. Les Européens et Juifs se précipitent vers les bateaux et les avions... L'opinion internationale, et surtout la France, sont rassurées: l'ALN de Boumediene est en mesure de garantir la stabilité interne (et donc l'exportation des hydrocarbures) à un moment où l'Afrique post-indépendance est en plein chaos et guerre civile... Déjà légitimée par sa force militaire, l'ALN gagne ainsi une légitimité politique internationale.

Les ordres de De Gaulle au Général Katz de ne pas intervenir pour sauver du massacre les Oranais (encore citoyens français !) peuvent aussi s'expliquer. La France tient à être bien représentée auprès des nouvelles autorités... Et elle le sera. Quelques mois plus tard, Hervé Bourges (sans doute un grand flic) devient conseiller (très) spécial du premier Président de la RADP (République Algérienne Démocratique et Populaire), Ben Bella !

Conclusion.

En 2006, pour filmer le quatrième épisode de mon dernier film, ''Algérie, histoires à ne pas dire'', j'avais choisi le quartier de la Marine avec sa fameuse Calère, car elle était peuplée à peu près également d'Arabes et de Pieds-noir d'origine espagnole, tous aussi pauvres les uns que les autres et parlant tous l'espagnol (les vieux Oranais arabes le parlent encore entre eux !).

Les résultats de mon enquête préliminaire me laissèrent penser que ce quartier avait été l'exception du 5 juillet à Oran. Partout on avait tué, sauf là. J'avais voulu y voir la conséquence d'une fraternité quasi-prolétarienne qui flattait mes opinions d'alors.

Jusqu'au moment où, vers la fin du tournage, le personnage le plus assimilé à la culture pied-noir, dit ''Tchitchi'' lâcha le morceau : dans la maison où lui-même avait habité, appartenant à son beau-père, chef du FLN du quartier, une trentaine de Pieds-noir avaient été détenus le 5 Juillet 62, et parmi eux, même un couple communiste.

Que leur était-il arrivé?

Lors de notre premier contact, il passa en silence la main sur sa gorge. 
Devant la caméra, il bafouilla et se contredit plusieurs fois en quelques minutes... 
Ainsi, il n'y avait pas eu d'exception à la Marine. 
Ici comme ailleurs, la rage nationaliste et la haine ethnique avaient pareillement fonctionné, chez ceux-là mêmes qui avaient tété des femmes espagnoles, puisque dans ce quartier presque tous, chrétiens et musulmans, étaient frères ou sœurs de lait...

La première partie de ce billet est disponible ici.

Jean-Pierre Lledo et d'autres sont à l'origine d'une pétition mondiale pour faire reconnaître le massacre du 5 juillet 1962 à Oran. Elle est disponible à cette adresse:http://www.change.org/fr/p%C3%A9titions/a-tous-les-citoyens-du-monde-et-aux-ong-des-droits-de-l-homme-qu-ils-nous-apportent-leur-soutien-en-signant-2.
 
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