C’était il y a un an. Jeudi 25 février 2010, Ali Tounsi, directeur de la police nationale, est tué dans son bureau à Alger. Officiellement le tueur présumé est le colonel Chouaib Oultache, chef de l’unité aérienne de la sûreté nationale. Crime lié à un différent privé ou exécution liée à des affaires de corruption, le procès qui s’ouvrirait prochainement devrait lever un coin du voile sur ce crime d’Etat. Comment Ali Tounsi a t-il été tué ? Quel est le mobile du crime ? Qui est son assassin présumé ? DNA a mené l’enquête.
Mercredi 24 février 2010. Le colonel Chouaib Oultache tient une réunion avec ses proches collaborateurs dans son bureau à Hydra, sur les hauteurs d’Alger. Son équipe d’experts doit finaliser le rapport qui doit être soumis le lendemain au directeur de la police nationale, Ali Tounsi.
Ancien pilote de chasse, Chouaib Oultache est nommé depuis 2007 Tounsi à la tête d’une commission technique chargée d’évaluer les besoins de la DGSN (directeur général de la sureté nationale) en équipements modernes. Depuis sa nomination, Oultache qui a rejoint le staff de Tounsi en 1999 a accompli un travail appréciable.
Les effets de cette commission ont montré des résultats probants en matière de lutte contre le terrorisme, la criminalité, et le banditisme (détection d’explosifs, armes à feu, voitures volées…). Les techniques de communication moderne (télésurveillances, unité aérienne, ordinateurs …) mise en place au sein des unités de police ont également permis de réaliser de précieux gains de temps dans la lutte contre la subversion.
Oui, sauf que depuis quelques temps, il règne une atmosphère délétère autour de cette commission. Des soupçons de corruption dont se seraient rendu coupable Oultache et des membres de son équipe arrivent aux oreilles d’Ali Tounsi.
Pour en avoir le cœur net, ce dernier charge l’IGS (Inspection générale des services) de mener une enquête sur les activités de cette commission.
Après plusieurs jours d’investigation, l’IGS fait choux blanc. Pas de traces de corruption ou de malversations. Pourquoi alors toutes ces rumeurs sur Oultache, tous ces ragots rapportés aux oreilles du patron de la police ?
Oultache gênait-il des intérêts occultes? Le patron de la police a-t-il été intoxiqué par des rumeurs malveillantes sur le travail de son ami Oultache ?
A sa retraite qui a couronnée une longue carrière dans l’aviation militaire, Chouaib Oultache, originaire de Chelghoum El Aid (Est d’ Algérie), fait un bref passage dans la compagnie Air Algérie en qualité de formateur. C’est là qu’Ali Tounsi est partit le chercher en 1999. Depuis les deux hommes s’avouent respect, confiance et amitié.
Le fait que leurs maisons respectives soient mitoyennes dans le quartier résidentiel d’Hydra n’est sans doute pas étranger à cette complicité qui lie les deux hommes. On dit même qu’Oultache a sauvé son ami d'un mort certaine lorsqu'il contribua à l'automne 2007 à détecter une voiture piégée stationnée prés du domicile des Tounsi.
Dans le courant du mois de février 2010 donc, Ali Tounsi demande au Colonel Oultache de présenter un bilan sur les travaux de sa commission.
Ce mercredi 24 février 2010 donc, Oultache et son équipe s’activent à finaliser le rapport qui devrait être présenté le lendemain au patron de la police. Dans les bureaux d’Hydra, la réunion s’éternise.
Oultache prend congé de ses collaborateurs au environ de 22 heures. Son équipe continue de travailler sur le rapport. Le document n’étant pas fin prêt pour la réunion du jeudi, Oultache compte demander à son patron un délai supplémentaire de quelques jours pour boucler le dossier.
Jeudi 25 février. Rasé de près, le colonel quitte son domicile pour se rendre au siège de la police nationale, sis à Bab El Oued. Avant de quitter son domicile, il ne manque pas d’emporter son Smith & Wesson, calibre 38, une arme qu’il avait acquise auprès d’une américaine pour 100 dollars lors d’un voyage effectué au milieu des années 1990 aux Etats-Unis. Une arme ? Pourquoi donc ?
A ses avocats, Oultache explique qu’il avait décidé de porter son arme depuis la diffusion au mois de novembre 2009 d’une enquête sur la chaine française M6 dans laquelle figure un reportage sur l’unité aérienne de la police, unité qu’il avait mise en place. Bien que son visage ne figure pas dans ce reportage, Oultache ne sent pas en sécurité, dit-il.
De plus, explique t-il encore à ses avocats, ce jour-là il avait décidé de se rendre dans un marché pour acheter des pétards à sa petite fille âgée de 3 ans à l’occasion du Mouloud, une fête qui célèbre la naissance du Prophète Mohamed. Pour les besoins de ces achats, il emporte avec lui la somme de 5000 dinars.
Jeudi 25 février. Il est environ 09h30 heures quand Oultache arrive au siège de la DGSN. Le chef de sûreté de wilaya d’Alger, le directeur de l’administration générale (DAG) et le directeur des moyens et des transmissions (DMT), doivent également assister à cette réunion.
Cette réunion là, Chouaib Oultache souhaite la reporter parce que le rapport qu’il doit présenter ce matin n’est pas encore finalisé. Il voudrait donc demander à son chef un délai supplémentaire de quelques jours afin de mettre au point ce bilan.
Oultache entre dans le grand bâtiment de la police sans qu’il ne soit soumis à la moindre fouille. L’homme est non seulement familier des lieux, mais il est également un proche du grand patron. Oultache salue les collaborateurs avec qui il doit se réunir quelques minutes plus tard en compagnie du DG.
L’atmosphère est cordiale. Aucun signe de nervosité. Pas le moindre signe de tension. Une réunion de routine entre de gens qui se connaissent depuis des années.
Matinal, Ali Tounsi est déjà dans son bureau. Grand sportif malgré ses 73 ans, l’homme est connu pour sa ponctualité. Quelques minutes avant le début de la réunion, son secrétaire particulier met à sa disposition une revue de presse des journaux du matin. Ali Tounsi entame toujours sa journée avec la lecture de la presse quotidienne.
Ce matin donc, le secrétaire a tôt fait de faire traduire dans un français plutôt approximatif -Ali Tounsi ne maitrise pas l’arabe-, un article paru dans le quotidien arabophone Ennahar évoquant une transaction douteuse dans laquelle seraient impliqué le colonel Oulatche ainsi que son fils.
Sans protocole, Chouaib Oultache entre dans le bureau d’Ali Tounsi. Les deux hommes se connaissent trop bien pour passer outre certaines règles bienséance. Voici la version des faits telle qu’elle a été rapportée par Chouaib Oultache.
Chemise blanche, pantalon gris, Ali Tounsi, assis derrière son grand bureau, accueille son visiteur avec une nervosité non dissimulée. Oultache demande le report de la réunion, Tounsi refuse et signifie que celle-ci est maintenue. Le ton monte.
Tounsi accuse le colonel et les amis de ce dernier de comploter contre lui et lui demande de rendre des comptes sur sa « trahison ». La tension monte encore d’un cran. Oultache réplique en accusant Tounsi d’être lui-même un traitre. « C’est toi le traitre, toi le fils de harki », lui lance-t-il.
En rage, Ali Tounsi se lève, empoigne un coupe-papier posé sur le bureau, contourne la grande table côté droit, s’avance en direction de Chouaib Oultache. « Je vais t’embrocher….», crie-t-il à l’adresse de celui-ci. Oultache se lève de son siège à son tour et hurle : « Attention, je suis armé… »
Que se passe-t-il dans la tête d’Oultache à cet instant précis ? A ces avocats, Oultache raconte qu’à cet instant précis, il se rappela de deux faits d’armes que Tounsi lui avait rapportés quelques années plutôt.
Le patron de la DGSN, raconte Oultache, s’est vanté devant lui d’avoir tué deux personnes dans sa jeunesse avec la froideur d’un tueur professionnel. La première a été tuée avec un trombone planté dans le plexus, l’autre avec le couvercle d’une boite de conserve transformé en une lame effilée capable de trancher la gorge d’un individu.
A cet instant donc, quelques secondes avant le drame, Oultache s’est rappelé que son ami est capable de tuer.
Ali Tounsi s’avance vers Chouaib Oultache en brandissant le coupe-papier. Oultache lui dégaine son Smith & Wesson et tire une première balle dans l’air. Celle-ci se loge dans le plafond du bureau. Il dirige ensuite l’arme vers le thorax de Tounsi et tire quatre balles.
Grièvement touché, Tounsi tombe sur le ventre. Il reste une balle dans le barillet. Prenant conscience de son geste, Oultache met le canon sous son menton pour se suicider. L’arme s’enraille. Il tente de la décoincer avec un ciseau, en vain.
Il fait alors une nouvelle tentative pour décoincer l’arme en cognant sur un meuble du bureau. En portant des coups sur le chien du pistolet, celui-ci se casse. Selon le rapport d’instruction, le meuble porte encore des traces de ciselures et le pistolet, principale pièce à conviction, est sectionné au niveau du chien.
Ali Tounsi gisant par terre, Oultache sort du bureau capitonné et demande au secrétaire d’appeler les trois autres directeurs qui attendaient dans la salle de réunion. Le chef de la sureté de la Wilaya d'Alger arrive en premier. Oultache l’abreuve d’injures et lui assène un coup de crosse sur la nuque. Celui-ci prend la fuite et tombe dans les escaliers.
Des tireurs accourent. Des coups de feu raisonnent dans le couloir. Chouaib Oultache est touché au foie, au poumon et dans les deux cuisses. Il retourne dans le bureau d’Ali Tounsi et s’assoit sur une chaise. Il se vide de son sang. Le temps passe. Combien de temps? Dix, quinze, vingt minutes?
Lorsque les coups de feu cessent, des individus se hasardent dans le bureau du DG de la police. Puis la salle est envahie par une noria de responsables, de gardes du corps. Ali Tounsi git sur le ventre.
Dans un état de semi-conscience, Oultache entend une voix s’exprimant en français : « Achevez-les tous les deux…». Il perd connaissance. Transporté à l’hôpital Maillot, à Bab El Oued, il passe au bloc opératoire. La dépouille d’Ali Tounsi est acheminée vers la clinique les Glycines sur les hauteurs d’Alger. Son enterrement a lieu le lendemain.
Une année après les faits, l’énigme reste entière. Elle l’est d’autant plus que la défense et les avocats de la partie civile s’accordent sur une chose : l’instruction a été bâclée et des témoins clés ont été écartés.
Si Chouaib maintient sa version, à savoir ne pas avoir tiré dans la tête de Tounsi, qui a bien pu tirer alors ? Y' a-t-il réellement un second tireur qui aurait achevé le patron de la police ? Pourquoi la scène du crime n’a-t-elle pas été préservée immédiatement après les faits ? Pourquoi a-t-on confié l’enquête préliminaire à la police scientifique ?
Pourquoi le bureau de Tounsi a-t-il été nettoyé alors qu'il devait rester en l'état pour préserver les indices? Pourquoi le coffre-fort du directeur de la police a-t-il été ouvert à l’aide d’une tronçonneuse au mépris de toutes les règles de procédures judiciaires ? Pourquoi l’ex-ministre de l’Intérieur, Yazid Zerhouni, s’est-il empressé de publier moins de quatre heures plus tard un communiqué dans lequel il affirmait que le tueur présumé avait agit par acte de démence ? Pourquoi l’ex-ministre est-il directement intervenu dans cette affaire au lieu et place du Procureur de la République ?
Ce sont autant de questions que le procès devrait éclaircir.
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