Et le piège se referme. Avec l’annonce d’une nouvelle marche de l’opposition à Alger, mais également dans d’autres villes,d’Algérie, samedi 19 février, le pouvoir est désormais confronté à un dilemme dont on pourrait prédire qu’il sortirait perdant. Comment gérer le mouvement de contestation qui prend de l’ampleur et qui se cristallise autour de deux revendications majeures : le changement du système et l’instauration de la démocratie.
Réprimer ou ouvrir les espaces d’expression ? Interdire une fois de plus la manifestation de l’opposition, déployer, à nouveau, un dispositif policier impressionnant autour de la capitale ou plutôt autoriser cette nouvelle marche ?
Réprimer ou ouvrir quelques vannes de secours. Dans les deux cas de figure, le pouvoir est pris dans son propre piège.
Le premier scénario, le plus vraisemblable, est que le gouvernement algérien interdirait, une fois de plus, la marche à laquelle appelle la coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD).
Même si les autorités algériennes ne se sont pas encore exprimées sur cette manifestation, rien n’indique que le ministère de l’Intérieur serait disposé à lever l’interdiction, en vigueur depuis juin 2001.
Les propos du ministre de l’Intérieur, Dahou Ould Kablia, tenus dans un journal arabophone la veille de la marche réprimée du samedi 12 février, ne laissent aucun doute sur la volonté du pouvoir à sévir contre les opposants. « Nous sommes disposés à mobiliser des milliers, des millions, de policiers, pour empêcher le déroulement de cette marche », avait annoncé en substance le ministre.
Depuis, la position des autorités algériennes n’a pas bougé d’un pouce. Bougerait-elle ? Peu probable.
Une nouvelle interdiction de la marche du 19 février, avec sans doute un dispositif policier encore plus renforcé – samedi 12 février quelque 30 000 policiers ont été déployés autour d’Alger-, aura des conséquences politiques tant en Algérie qu’à l’étranger.
Une nouvelle interdiction, donc une nouvelle répression, induirait inévitablement une radicalisation du mouvement de contestation contre le régime de Bouteflika. L’élan de mobilisation né autour de la Coordination pour le changement, couplé au profond malaise social et au climat de contestation permanent dans lequel est plongé l’Algérie depuis une année, tout cela devrait immanquablement amplifier la protesta. Ceci sur le plan national.
Sur le plan international, la position du pouvoir algérien devient de plus en plus intenable. Déjà, Washington, Paris et l’Union européenne ont rappelé, chacun avec ses mots, la nécessité, presque l'obligation, pour les autorités algériennes de respecter le droit des Algérien de manifester librement et leur droit d’accéder aux espaces d’expression.
La position des Américains est encore beaucoup plus explicite. Le Département d’Etat américain affirmait dimanche 13 février qu’il suivra de « prés » la situation en Algérie dans « les prochains jours ».
Décodé, le message voudrait dire que l’administration du président Obama met sous surveillance le gouvernement algérien.C'est de mauvaise augure pour celui-ci.
Une éventuelle répression de la marche du 19 février devrait donc amener les partenaires étrangers de l’Algérie à durcir le ton à l’égard du gouvernement algérien.
Le deuxième scénario, invraisemblable disons-le à l’heure actuelle, est que le gouvernement algérien se fasse violence en autorisant la marche du 19 février.
Un tel scénario signifierait que toutes barrières sécuritaires mises en place pour empêcher les Algériens de manifester dans la capitale seraient levées. Un tel scénario signifierait que la capitale ne serait plus une ville quadrillée, en état de siège, mais une ville ouverte. Libérée de l'emprise policière.
Alors, ce ne seraient pas 250, 2000 ou 5000 personnes qui défileraient à Alger pour réclamer un changement du système, mais sans doute des dizaines de milliers.
La levée éventuelle de l’interdiction de marches et de manifestations dans la capitale serait non seulement perçue comme une victoire de l’opposition, et se serait une, mais cette levée d’interdiction devrait renforcer, encourager, amplifier le mouvement de contestation.
Dans ce cas de figure, nous serions face à un scénario à l’égyptienne. C'est-à-dire que les places d’Alger, celle du 1er mai, la Place des Martyrs, ou d’autres places de la capitale, deviendraient dés lors des place Tahrir. C'est-à-dire qu’Alger, la capitale algérienne, deviendrait l’épicentre d’une protesta dont on n'est pas en mesure de prédire aujourd'hui les conséquences.
La Coordination pour le changement, des partis d’opposition ou de simples citoyens seraient-ils en mesure de tenir le siège ? Un scénario à l’égyptienne pourrait-il se rééditer à Alger ? Rien n’est moins sur.
Alger n’est pas le Caire et les configurations du pouvoir en Algérie ne ressemblent pas, même si on peut y trouver quelques similitudes, à celles de l’Egypte de Moubarak.
Mais à l’évidence, il y a en Algérie un tel climat d’insurrection, il y a dans ce pays un tel rejet des gouvernants, un tel désir de changement, une telle aspiration à libérer le pays de la tutelle politique qu’exerce le régime algérien sur ses citoyens depuis l’indépendance, qu’une éventuelle levée de l’interdiction de manifester à Alger pourrait transformer la capitale en un champ de contestation permanente. En un champ de bataille.
Le pouvoir algérien est-il aujourd’hui en mesure de prendre un tel risque? Là encore, rien n’est moins sur. Parions que pour assurer sa survie, il ne le prendrait pas.
Comment alors se sortir de ce piège intenable ? Quelle serait la parade pour se sortir de ce piège? Comment contenir la contestation sociale et politique tout en préservant les apparences d'un régime qui se soucie d'un minimum de démocratie? Dilemme.
Le président Bouteflika pourrait encore rabattre quelques cartes.
Il pourrait encore sortir de sa manche quelques jokers. Lever l’état d’urgence, comme il s’y est engagé jeudi 3 février. Ouvrir les médias publics à l’opposition, ordonner à la direction de la télévision d'organiser des débats contradictoires à la télévision publique, débats auxquels seraient invités les partis de l’opposition. Télévision et médias publics dont a été exclue l'opposition pendant les 12 ans du règne du président Bouteflika. Faut-il le rappeler.
Le président pourrait également annoncer de nouveaux programmes de logements, promettre la création de milliers de postes d’emploi ou agréer des partis politiques dont les dossiers d’agrément reposent dans les tiroirs du ministère de l’Intérieur depuis bientôt dix ans.
Ou encore procéder à un remaniement ministériel, voire même virer le Premier ministre Ahmed Ouyahia et nommer un nouvel exécutif.
On s’en doute. Toutes ces options, tous ces scénarios, toutes ces solutions de rechange, sont actuellement à l’étude. S’ils ne sont pas déjà arrêtés.
Mais là encore, tout cela relève de la politique à courte vue. De la gestion de la crise à la petite semaine. Du paré au plus pressé.
C’est que, ni la levée de l’état d’urgence, ni l’annonce de l’ouverture des médias à l’opposition, encore moins l’annonce de nouvelles décisions concernant l’emploi, le logement, la corruption, ne seraient en mesure de racheter le pouvoir. Il en serait de même pour un éventuel changement du gouvernement.
Pourquoi ?
D’abord parce que le discours de Bouteflika ne passe plus. Parce que sa parole est inaudible. Parce que Bouteflika ne gouverne que par délégation. Il est là, mais les Algériens ne le voient plus. Ils ne l’entendent plus. Bouteflika est président, mais il a cessé d'exercer ses fonctions.
Osons l’expression. Bouteflika est plongé dans une sorte de coma politique dont il ne se réveille que pour apparaitre à la télé, au détour d’une audience présidentielle, au gré d’un voyage éclair à l’étranger ou d’un Conseil des ministres. Le président Bouteflika, 74 ans, malade, affaiblit par des épreuves personnelles, usé par 12 ans d’exercice du pouvoir, est devenu une sorte de président fantôme.
Lui le sait. Ses conseillers le savent. Le Premier ministre le sait. Les ministres le savent. Le patron du DRS, le général Mohamed Medienne, dit Toufik, celui dont on dit qu'il tient les rênes du pays, le sait. Mais tout le monde le sait !
Ensuite parce que toutes les mesures que ce président pourrait annoncer concernant la lutte contre le chômage, contre la crise du logement, en faveur de la lutte contre la corruption, toutes ces décisions n’auront absolument aucun impact sur la crise que vit l'Algérie en ce sens qu’elles ont été déjà promulguées un mois, une année, deux ans, dix ans, auparavant. Sans résultats.
En 2010, l’Algérie aura connu, chiffres officiels, pas moins de 10 000 émeutes et autres manifestations. En l'espèce, cela reste un record depuis l’accession de l’Algérie à l’indépendance en juillet 1962.
Reste encore l’option de remanier le gouvernement ou de le changer de la tête au pied. Mais là encore, cette option relève de la manœuvre politique.
C’est qu’en mai 2010, le président Bouteflika a procédé à un remaniement ministériel. Il a viré deux de ses principaux alliés, le ministre de l’Energie et des Mines, Chakib Khelil, et le ministre de l’Intérieur, Yazid Zerhouni, promu au strapontin de vice-Premier ministre, et il a permuté quelques ministres. Pour quel résultat ?
Le résultat est qu’en 2010, rappelons les chiffres, l’Algérie a connu pas moins de 10 000 émeutes et autres manifestations de colère. Le résultat est qu’en février 2011, l’Algérie, plus que jamais, est assise sur une poudrière. Le résultat est qu’en février 2011, de plus en plus d’Algériens crient « Boutef dégage ! ».
Comment se sortir de ce piège infernal ? Réprimer encore ou ouvrir quelques vannes de secours ?
No comments:
Post a Comment